La muraille de Chine est un recueil de nouvelles de Kafka d’une inégalité assez formidable. Les écarts sont grands, tant dans la quantité – se côtoient des écrits d’une demi-page relevant plus de l’anecdote qu’autre chose et de longues nouvelles approchant la cinquantaine de pages – que la qualité.
On peut comprendre les raisons qui ont poussé l’éditeur à recenser dans ce pêle-mêle plein d’histoires différentes, réunissant des écrits traversant toute la carrière de l’auteur (de ceux de jeunesse aux derniers avant de mourir), et malheureusement, si j’en dois juger l’œuvre à part entière, j’en retiens surtout l’incohérence globale. C’est sans surprise que l’on découvre ces « Contemplations » (premiers écrits de Kafka) mièvres, sorte de journal intime pseudo-poétique, registre qui m’a foi ne sied pas des masses à l’auteur. Il aurait pu y avoir la force dans ces micro-histoires, ces pensées de l’instant, de toucher l’universel – comme Kafka dans ses œuvres plus théoriques nous le montre par la suite – mais l’insaisissabilité perpétuelle du propos, le côté surnaturel dans le ton, l’impossible identification continue, tout cela empêche ces histoires d’exister durablement et s’imprégner dans mon esprit. Quantitativement parlant, je suis donc obligé de reconnaître que 95% des nouvelles sont rentrés dans un œil et sortis de l’autre !
A côté d’autres nouvelles, certes toutes aussi courtes, par la fantasmagorie originelle du propos, sont bien plus fascinantes : je pense au remarquable « Dans notre synagogue », également au « Chasseur Gracchus », fable métaphysique empreint d’une certaine mélancolie.
Fort logiquement, les nouvelles les plus réussies sont donc les plus longues. On peut évoquer celle éponyme, « La muraille de Chine », rappelant un des thèmes fort de Kafka – l’absurdité d’un système politique – en le confrontant à une violente critique juridique ; mais surtout l’excellent « Recherches d’un chien » qui clôture ce recueil, d’une inventivité folle. Difficile à dire si cette nouvelle est typique de Kafka, tant elle paraît à la fois se démarquer profondément des chemins parcourus par l’auteur – cette simple idée d’envisager le monde depuis l’angle d’un chien ! – que s’en rapprocher – par l’absurdité générale du propos, le rapport aux autres, l’incompréhension générale pour les choses tout autant que leur fascination... Très difficile aussi de savoir exactement où Kafka veut en venir, comme le héros solitaire on se sent constamment en retrait, assez détaché de la réalité (mais peut-être cela vaut pour tout le recueil, et les écrits de Kafka en général), et les seules scènes détaillées nous apparaissent comme des rêves (la fanfare des chiens, l’histoire des chiens volants, le chien chasseur qui chante etc). C’est peut-être cela au fond le grand principe de Kafka : le recours au fantastique pour mieux appuyer l’incommunicabilité entre les êtres ?