Paul Auster (1947-2024), orfèvre de la narration, tant de chefs d’œuvre… .
"Considérer le mouvement non comme une simple fonction du corps mais comme un développement de la pensée. De même, considérer la parole non comme un développement de la pensée mais comme une fonction du corps. Des sons se détachent de la voix, entrent dans l'air, encerclent, assaillent, pénètrent le corps qui occupe cet espace. Quoique invisibles, ces sons forment un geste aussi bien que la main quand elle traverse l'air à la rencontre d'une autre main, et dans ce geste on peut lire l'alphabet entier du désir, le besoin du corps d'être arraché à soi, alors même qu'il demeure dans la sphère de son propre mouvement.
A première vue, ce mouvement paraît dû au hasard. Mais ce hasard n'exclut pas le sens. Ou bien, si le mot sens ne convient pas, disons la trace ou l'impression persistante que laisse ce qui se passe tout en changeant sans cesse. Décrire ce mouvement dans tous ses détails n'est certainement pas impossible, mais il faudrait tant de mots, de flots de syllabes, de phrases, de subordonnées, que les paroles se laisseraient invariablement distancer par l'action, et longtemps après que tout mouvement aurait cessé, que les témoins se seraient dispersés, la voix qui décrit le mouvement parlerait toujours, seule, entendue de personne, se perdant dans l'obscurité et le silence de ces quatre murs. Pourtant quelque chose se passe, et malgré moi je veux être dans l'espace de cet instant, de ces instants, et dire quelque chose, même si cela doit être oublié, quelque chose qui fera partie du voyage pour autant qu'il pourra durer."
Paul Auster, Espaces blancs (White Spaces, 1978)
Relire Paul Auster. Savoir que ses Vertiges new-yorkais ne nous quitterons pas - La trilogie, Moon Palace, Léviathan, Le Livre des illusions, ni son écriture serrée, intime et intranquille. Le premier que j’ai lu, L’invention de la solitude, a résonné si fort en moi que j’ai dévoré ses romans à la suite, espérant chaque année un nouvel opus en librairie.
Avoir sa "période Paul Auster", c’était découvrir l’âme américaine par la côte Est.
Et une certaine idée de l’élégance.