Avec son récit "La place", Annie Ernaux propose une nouvelle approche du genre autobiographique. Son originalité tient à une écriture volontairement qualifiée de "plate" : proche du compte rendu, basée sur les faits et refusant tout pathos.
Mais attention, il ne faut pas confondre "plate" et "dénuée d'intérêt" car le procédé d'écriture est diantrement éloquent.
Tout d'abord, il permet de respecter ce père profondément attaché à ses origines modestes. En employant cette écriture plate, elle reste fidèle à celui pour qui "tout ce qui touchait au langage était motif de rancœur et de chicanes douloureuses" : l'usage des mots cristallisant les différences sociales.
Cette écriture basée sur les faits permet également de parer aux défaillances de la mémoire, refusant d'enjoliver un événement ou de recréer les parts d'ombre.
De plus, et c'est bien cela le plus beau, sans qu'on comprenne réellement comment, cette écriture prétend à une certaine universalité. Elle agit en miroir sur le lecteur, le renvoyant à sa propre histoire, le questionnant sur "sa place".
Ce livre est un magnifique hommage au père : ce "passeur entre deux rives, sous la pluie et le soleil" qui conduisait sa fille sur son vélo de la maison à l'école. Un père très fier que sa fille appartienne au monde qui l'avait dédaigné, réalisant très bien que cette l'ascension sociale l'éloignera progressivement de lui.