Mélancoliques mimoïdes
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le 5 mars 2016
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Il m'arrive régulièrement de refermer un livre et de me demander ce que je pourrais bien en dire dans une critique. Ou plutôt de penser que je ne vais rien pouvoir en dire. Je suis lente à écrire des critiques, elles nécessitent bizarrement un temps de maturation dans mon cerveau particulièrement long, voire très long, voire très très long. C'est pas moi qui aurait pu écrire La recherche du temps perdu, il m'aurait fallu vivre des centaines d'années pour écrire l'équivalent en quantité (nous ne parlerons que du quantitatif, puisqu’il est entendu que je suis plus douée que Proust ; je suis juste beaucoup plus lente). Voilà donc un bon exemple du problème récurrent auquel je fais face chaque jour avec La surprise de l'amour, pièce sur laquelle je bute depuis des mois (et hop, ça fait un paragraphe à écrire des bêtises).
Allez, courage, je sens que je tiens le bon bout, cette fois ! Résumons l'intrigue, ce qui sera vite fait. Lélio, suite à un chagrin d'amour, a juré de ne plus jamais fréquenter les femmes. Leur adresser seulement la parole lui est insupportable. Ainsi se comporte également son valet Arlequin. Il a pour voisine La Comtesse, qui, on ne sait trop pourquoi, ne veut pas non plus fréquenter les hommes et les tient en piètre estime, mais qui condescend à leur parler tout de même ; de même se comporte sa suivante Colombine - encore que... Là où ça se complique un tantinet, c'est qu'ils possèdent un jardin commun où ils ne peuvent manquer de se rencontrer. Mais, pour en rajouter une couche, deux de leurs domestiques respectifs, Jacqueline et Pierre, souhaitent se marier : Lélio et La Comtesse ont donc des décisions à prendre ensemble pour assurer leur avenir sur le plan matériel. Et ne voilà-t-il pas qu'ils ont un ami commun ! Un seul, certes, mais c'est bien suffisant pour introduire le ver dans le fruit. Cet ami, c'est le Baron, et celui-ci est très curieux de voir ce que va donner cette fréquentation obligée de La Comtesse et de Lélio ; il leur promet qu'ils tomberont amoureux l'un de l'autre. Aussitôt dit, aussitôt fait : par une sorte de pratique magique (il trace un cercle autour de Lélio et de la Comtesse), le Baron les condamne tous les deux à ce qu'ils redoutent le plus. Tout l'effort de Marivaux va donc porter sur, non pas sur la naissance de l'amour, qui semble survenir d'un coup, ou du moins très rapidement, mais sur la découverte des sentiments que portent en eux les deux personnages principaux et qu'ils vont s'efforcer de combattre. Bon, c'est là que j'ai envie de dire : lisez et vous verrez.
Je ne vais pas m'étendre sur tous les détours que prennent La Comtesse aussi bien que Lélio pour en arriver à la révélation, parce que je n'ai pas apprécié la pièce plus que ça à cette relecture. Je m'attarderai juste sur deux ou trois points qui m'ont plus particulièrement marquée, comme je m'en rends compte avec un peu de recul. Le premier, c'est l'intervention d'une espèce de Deus ex machina, en l’occurrence le Baron. Intervention "magique", à laquelle personne ne croit réellement et qui relève peut-être d'une facilité dans la construction de l'intrigue (et hop, on n'a pas besoin de s'enquiquiner avec la naissance des sentiments), mais qui me semble aussi, avec cette tentation de l'expérimentation qu'éprouve le Baron, constituer les prémices de La dispute, écrite vingt ans plus tard et qui ira très loin sur cette question. Marivaux, c'est toujours plus ou moins cruel, et le jeu que joue le Baron rend, je crois, quelque peu compte de cette cruauté, bien qu'encore en sourdine dans La surprise de l'amour. Car si n'est le cercle du Baron qui pousse Lélio et la Comtesse à s'aimer, on peut aussi penser que c'est tout simplement le défi qu'il leur lance qui les pousse l'un vers l'autre, et donc, dans un cas comme dans l'autre, il est bien l'élément perturbateur, impatient d'observer les conséquences de ses actes sur les deux autres.
Le second point, c'est le dédoublement de l'intrigue, que Marivaux utilise régulièrement. À l'histoire d'amour de Lélio et de la Comtesse répond celle d'Arlequin et de Colombine, qui, malgré les réticences du premier, sont plus prompts à s'entendre. Mais une troisième histoire - ou plutôt, une première histoire, car c'est avec elle que débute la pièce - répond aussi aux deux autres, celle de Pierre et Jacqueline. Le fait est qu'au XVIIIème, et encore bien plus tard, lorsque le/la domestique d'une famille d'aristocrates choisissait de se marier en dehors de la maison, il fallait soit que son/sa futur(e) conjoint(e) le/la rejoigne en tant que domestique de la famille, soit l'inverse, soit encore qu'ils quittent tous les deux leur emploi si aucun accord n'était trouvé. L'intrigue de La surprise de l'amour repose donc sur des réalités matérielles auxquelles sont confrontés Jacqueline et Pierre, d'abord, puis Colombine et Arlequin, ensuite. Leur intérêt à tous, c'est que Lélio et la Comtesse non seulement s’entendent, mais se marient carrément (ce qui simplifierait bien des choses), et Colombine compte bien jouer un rôle actif dans la résolution de ce problème. D'où une seconde intervention qui pousse Lélio et la Comtesse l'un vers l'autre : on peut commencer à se demander s'ils ont seulement une chance d'échapper à cette sorte de piège qui se referme sur eux.
Le dernier point, celui que je préfère, c'est la façon dont les sentiments de Lélio et de la Comtesse vont éclater au grand-jour. J'avoue que j'aime beaucoup le coup du portrait... Il faut préciser que la Comtesse perd son portrait en miniature dans le jardin, que le portrait finit par tomber entre les mains de Lélio et que celui-ci, au lieu de s'arranger pour le rendre, le conserve dans sa poche sous prétexte... et bien sous prétexte qu'il lui rappelle une cousine qu'il aime beaucoup ! Et c'est là, à mon avis, que Marivaux mêle analyse psychologique et humour avec, ma foi, pas mal de finesse. Cette histoire de portrait paraît, de l’extérieur, complètement idiote et on en vient forcément à penser que Lélio ment vraiment très maladroitement. Or il s'avère qu'il croit à son mensonge dur comme fer, qu'il ne voit pas où est le problème ni pourquoi les autres en font des gorges chaudes. Ici seulement on prend la mesure de l’aveuglement plutôt extravagant de Lélio, mais qui, lorsqu'on y pense bien, rappellera à chacun un petit quelque chose de vécu (par soi-même ou par d'autres). Et je ne peux m'empêcher de penser à Proust qui, bien plus tard, s'emparera de situations un peu analogues, et tout aussi ridicules ou émouvantes, c'est comme on voudra (oui, je ne sais pas ce que j'ai, c'est un jour où je ne peux m'empêcher de parler de Proust). Et cet aveuglement, dans sa très grande naïveté, a quelque chose de presque enfantin.
Voilà les quelques caractéristiques de cette pièce en comportant bien d'autres, qui m'ont finalement poussée à essayer de tirer quelque chose d'un texte qui, au premier abord, ne m'avait pas particulièrement charmée. L'aspect "surprise de l'amour", ça n'est pas forcément ce que je préfère chez Marivaux ; et c'est pas si simple de parler d'un auteur alors que tout, peut-être, a déjà été dit sur lui...
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Créée
le 25 oct. 2017
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