Je ne sais pas pour vous, mais je n'avais personnellement jamais lu un bouquin ayant remporté le prix Pulitzer. Alors si en plus l'écrivain a glané quelques années plus tard un prix Nobel de littérature, moi j'ai un peu l'impression de me retrouver devant un monstre sacré, un demi-dieu de la plume capable de me donner envie de tuer rien qu'en décrivant une scène de meurtre. Hé bien, je suis tombé de bien haut...
La Terre chinoise est pourtant un livre intéressant. Il s'agit de l'unique témoignage de la vie paysanne dans la Chine du début du vingtième siècle. L'auteur n'est même pas du pays, comme l'indique son nom, mais une enfance passée dans l'Empire du Milieu garantit une objectivité dans le détail du quotidien dont ne pouvait se targuer aucun autre étranger. Quant aux Chinois eux-mêmes, c'est plutôt dans la description de la noblesse qu'ils excellaient à l'époque. L'immersion dans ce quotidien exotique est donc totale dès les premiers lignes. Pearl Buck ne se contente pas de décrire la vie d'une certaine population chinoise des années 30 mais aussi et surtout son paysage mental. Le livre suit les pensées et les impressions du jeune paysan Wang Lung, depuis son mariage avec une esclave jusqu'à ses dernières heures de vieillesse. Rien ne nous sera caché de ses réflexions, de ses impressions, des coutumes dans lesquelles il baigne et des limites de sa connaissance du monde (il ne connait ni le train, ni la guerre, ni la révolution...). C'est à travers son regard quelque peu naïf que nous découvrons un mode de vie à la fois familier et totalement étranger. C'est assez difficile à décrire, mais les façons de se comporter des personnages oscillent entre l'universel et le (très) particulier si souvent qu'on ne sait jamais à quoi s'attendre dans les pages suivantes alors même qu'aucune quête ni même aucun but autre que de vivre le mieux possible n'est poursuivi par Wang Lung et sa famille.
Au vu du procédé littéraire choisi, Wang est toutefois le seul personnage dont la psychologie semble véritablement fouillée et auquel il nous est permis de nous identifier. Les autres ne sont qu'esquissés, prisonniers de leurs bizarreries que, malgré toute mon ouverture d'esprit, j'ai parfois eu du mal à intégrer (O-len, l'épouse de Wang, si dévouée qu'au moment de mettre au monde son premier enfant, elle interrompt momentanément le travail d'accouchement pour préparer le repas !! Mais bien sûûûr...). Même si tout ce petit monde se révèle attachant à sa manière, seul Wang semble finalement se comporter vraiment comme un être humain (y compris dans ses faiblesses, brillamment décortiquées par l'auteur). Son entourage parait beaucoup moins enclin que lui à éprouver des sentiments et donne plutôt l'impression d'agir uniquement par conventions sociales, au point où l'être humain se retrouve écrasé sous ces dernières.
Le style, comme je le laissais entendre dès le début, est quant à lui d'une platitude extrême, totalement assumée. Pearl se contente souvent d'enchainer les événements avec obstination et on se retrouve à lire des dizaines et des dizaines de phrases de ce style: « Et ensuite il marcha. Et puis il s'arrêta à l'échoppe et il rentra et il dit bonjour à tout le monde. Et il s'assit à sa table préférée et il n'oublia pas de commander ce thé si spécial dont il avait entendu parler. Et, lorsqu'on le lui apporta enfin, il le but à petites gorgées et il se sentit satisfait.» Mieux vaut ne pas être allergique aux conjonctions de coordination....
Ce style n'est cependant pas désagréable et permet même de dévorer les pages très rapidement. La dernière partie du roman, toutefois, qui n'a plus grand chose à raconter si ce n'est la lente décrépitude de Wang Lung use et abuse de ce procédé jusqu'à l'indigestion. Les derniers chapitres sont pourtant emplis d'une émotion juste et rare, celle d'un être que l'on a appris à connaitre et qui se retrouve aux dernières heures de son existence. Un frisson a alors parcouru mon échine lorsque je me suis rendu compte que la nostalgie du héros était devenue la mienne et que la vie venait subitement de prendre un nouveau goût à travers l'ascension sociale et l'amour de la terre d'un personnage lointain et pourtant si proche.