Dans une contrée lointaine se trouve un immense champ de roses au centre duquel se dresse un édifice jamais achevé, mais dont on peu mélancoliquement supposer la grandeur qui lui était promise : la Tour Sombre. Voilà sept tomes, sept quatrièmes de couverture que mon édition mentionne le Grand Œuvre de Stephen King ; pourtant pour moi le chantier s'est arrêté à la fin du presque magistral Magie et Cristal, le quatrième opus.
C'est simple : il est arrivé un moment où Stephen King a laissé en plan la construction de sa Tour pour en faire autre chose qu'une aventure à part entière. Probablement ce jour de juin 1999 où, alors qu'il se promenait le long de la route près de chez lui, l'auteur fut renversé par une camionnette et faillit mourir. La Tour Sombre prit soudain une telle importance à ses yeux qu'elle changea de direction pour interférer de plus en plus avec sa vie réelle. Celle-ci s'est immiscée dans l'univers si particulier du pistolero avec les interventions improbables du Magicien d'Oz et de Harry Potter (franchement...), avec celles de personnages venant d'autres de ses romans (le Père Callahan, Ted Brautigan) et surtout avec celle de Stephen King lui-même, qui s'autoproclama deus ex machina : les héros de l'histoire rencontrent donc l'auteur et apprennent qu'il est à l'origine de leur existence puisqu'ils sont nés de sa plume. Leur mission : le protéger jusqu'à ce qu'il termine l'histoire. Bien sûr, King relate son accident (en pointant bien l'irresponsabilité du chauffard) au détail près que s'il est encore en vie, c'est selon lui parce qu'il a été sauvé par un de ses personnages.
La Tour Sombre est passée d’œuvre à part entière à pot pourri d'éléments épars de la vie de King, pour un résultat hautement narcissique.
Était-il vraiment pertinent de détourner une série originale, son univers et les questions qu'elle posait pour régler ses comptes avec un chauffard et raconter son accident ? L'on me dira probablement que l'auteur fait ce qu'il veut de son œuvre, mais je ne peux m'empêcher d'y voir du gâchis et un manque flagrant d'inspiration. Le fait est que la Tour Sombre a été tristement bâclée, au détriment même de ses personnages. Exemple : l'homme en noir, qui aurait définitivement mieux fait de mourir dans le tome 1, n'apparaît que le temps d'un monologue ultra manichéen à l'issue duquel il se fait tuer d'une façon atroce, mais qui donne furieusement l'impression qu'il a pathétiquement glissé sur une savonnette en sortant du bain et s'est brisé le cou.
Même le style en prend un coup tout au long de ces trois derniers tomes. Les héros sont de plus en plus vulgaires et bourrins et ne réfléchissent plus. La moindre de leur pensée est ponctuée par des 19 et des 99 sortis du chapeau, suivant peu ou prou le schéma : "Pourquoi? Parce que 19!" D'où sortent ces deux nombres ? Le 19 est peut-être en rapport avec les 19 ans de l'auteur, qui ont une importance particulière à ses yeux, mais 99 ? Juste du fait que nineteen et ninety se ressemblent ?
Et les questions posées? Et le but de la Tour? Et son éventuel occupant? Balayées ces questions. Le jour où vous en avez le plus appris est le jour où vous avez lu la palabre de Walter O' Dim avec Roland dans Le Pistolero. C'était mystérieux, métaphorique, onirique : c'était bien. Au fait, qui est finalement le Roi Cramoisi à part l'incarnation du mal? D'où vient-il, d'où tient-il son armée, quelles sont ses aspirations? Vous n'aurez pas la réponse. Il n'est là qu'en guise de haie dans une course d'obstacle. Vous ne saurez rien, à part que Stephen King a eu un accident de voiture, qu'il lit Harry Potter, a été alcoolique et qu'il le regrette (sauf qu'il en parle bien mieux dans Shining sans avoir besoin de se citer). Faut-il que la base de fans de King soit solide pour que le dernier tome de sa série parvienne à une note moyenne si élevée sur senscritique...
Mon avis sur le premier tome :
http://www.senscritique.com/livre/Le_Pistolero_La_Tour_Sombre_tome_1/critique/11192900