Voilà un livre qui provoquera le rejet chez pas mal de lecteurs... Difficile de s'entendre dire que l'on n'est tout simplement pas assez viril ! Faut-il préciser que l'on ne parle pas ici de nos prouesses sexuelles ou de notre capacité à gueuler des invectives devant un match de foot télé pendant que l'on descend une dizaine de bières ? C'est une virilité primordiale, clanique, basée sur la force, le courage, la maitrise et l'honneur. Les valeurs qui ont porté en avant la masculinité depuis que les mecs font des trucs avec les autres mecs, jusqu'à la crise moderne de la masculinité. Encore faut-il être conscient qu'il y a une crise.


Aujourd'hui, vouloir montrer que l'on est un homme, même sans excès, est souvent taxé de machisme, féminisme oblige. On demande à l'homme d'être doux, sensible, gentil. Or tout cela est de la belle hypocrisie, car nous savons tous comment sont traités les hommes trop doux et gentils... pendant que les hommes virils, les leaders, enchainent les conquêtes féminines et les réussites professionnelles et sociales.


Il n'est donc pas question de (re)devenir une brute sans cervelle mais de se poser la question de ce qui caractérise fondamentalement la masculinité. Pas la gentillesse et la douceur sus-citées puisque ce sont des qualités indifférentes au sexe. D'où les quatre propositions de Donovan (force, courage, maitrise et honneur), évidemment longuement développées dans les pages du livre pour qu'on comprenne exactement de quoi il est question (on évitera ainsi de dire "mais les femmes aussi peuvent avoir du couraaageuuuh !" avant de lire le livre pour comprendre ce que l'auteur entend exactement par "courage").


L'idée historique développée est que toute civilisation a besoin de virilité pour éclore. Ainsi, des gardes prêts à éventrer délicatement d'éventuels attaquants seront postés aux limites du village, protégeant les femmes, les enfants et les vieux et garantissant de fait la prospérité du groupe (la situation est schématisée, inutile de me le faire remarquer). Au fur et à mesure que le village devient bourg, le bourg cité, la cité royaume, bref, à mesure que la civilisation se développe, la culture, les arts, la politique, la science et toutes les merveilleuses créations de l'humanité peuvent s'épanouir. Les mecs peuvent trouver d'autres voies que la guerre pour s'exprimer, uniquement grâce à la sécurité des frontières, de plus en plus lointaines, gardées par des soldats de plus en plus détachés de leurs compatriotes.


Et puis, inévitablement, la société s'amollit et rencontre des problèmes qu'elle ne parvient plus à gérer. Le peuple, qui n'a plus connu depuis des décennies la rudesse des combats, la vision du sang se mélangeant à la boue, le parfum de peur et d'excitation qui précède la mort violente... le peuple se vautre dans la paresse et la facilité, préférant s'occuper davantage de son apparence et de la jouissance que de ses compétences. Et inévitablement, vient un jour l'ennemi "barbare", celui qui n'a pas oublié la virilité, et qui vient mettre le coup de grâce à la civilisation déjà moribonde.


Ce cycle civilisationnel est celui développé par Robert Howard dans ses histoires de Conan le Cimmérien. C'est aussi peut-être l'Histoire bien réelle, mais avec moult variations et incertitudes, des civilisations harappéenne et mycénienne, de l'empire d'Alexandre, de Rome... Paradoxe de la civilisation: elle est censée nous projeter au-delà de la condition animale mais, en nous en éloignant trop, elle fait de nous des morts en sursis. C'est la dialectique du mot et de l'action de Mishima, grand penseur de la virilité japonaise.


Enfin, c'est la situation dans laquelle l'Occident se trouve en ce moment même, nous rappelle Donovan. Fortes de ces millénaires d'Histoire qui nous précèdent, comment nos élites ne prennent-elles pas conscience de notre décadence qui annonce la chute ? Une preuve de plus de leur immonde nature reptilienne, ouvrez les yeux ! Plus sérieusement: aucun espoir à attendre d'en haut, la strate supérieure d'une ère cyberpunk qui nous jette ses déchets à la gueule. Mais, individuellement, il nous est encore possible d'agir, de retrouver un esprit de clan en nous liant à des hommes de confiance, de fortifier notre corps et notre esprit, de retrouver le goût de l'aventure, du risque et de l'entreprise. Surtout, de ne plus avoir peur de nous comporter en hommes malgré la propagande féministe, qui estime le mâle d'aujourd'hui coupable de la piètre condition féminine des siècles passés.


Le danger, bien sûr, est de ne pas tomber dans l'autre extrême. Donovan écrit à deux ou trois reprises que vivre dans une civilisation implique d'équilibrer, de nuancer notre virilité. Comment s'y prendre ? Ne comptez pas sur ce bouquin pour donner des réponses. C'est un manifeste rédigé dans le but de nous préparer au pire: la chute de la civilisation, ère aussi dangereuse et ténébreuse que son enfantement. Ce catastrophisme dérangera le lecteur bercé dans son confort occidental (pourtant déjà de moins en moins évident). Moi-même j'ai trouvé que Donovan allait trop loin, et il y aurait beaucoup à dire sur cet homme et sa façon d'appliquer ses propres leçons... Mais j'aime être dérangé dans mes convictions, et tout lecteur honnête envers lui-même devra bien admettre le bon sens de ces lignes qui réveillent quelque chose d'endormi en lui depuis très longtemps...

Amrit
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le 15 juin 2017

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