edit : j'ai pas insisté là-dessus mais j'ai beaucoup apprécié la nuance de l'autrice ! la citation en début de critique tirée de la préface n'est pas entièrement correcte : cet homme n'est pas devenu médiocre aux yeux de la jeune femme, il l'a toujours été dans la mesure où elle avait conscience de ses travers et pendant quelques pages elle en parle en disant qu'elle l'avait aimé ainsi ; je pense à cet extrait :

"Rien n'est plus attachant que les faiblesses et les défauts : c'est par eux que l'on pénètre l'âme de l'être aimé, âme constamment cachée par le désir de paraître semblable à tout le monde."

ce que je veux dire par-là c'est que les réflexions de la narratrice ne se fondent pas sur cette espèce d'amertume post-rupture qui est ridicule, rend incohérent et qui aurait dévalorisé son propos

_______

"Renonçant à la passion idéalisée et à cette envie d'union parfaite, elle désacralise ce "double" et dépeint avec arrogance et drôlerie cet homme devenu médiocre à ses yeux." (préface)

d'abord, j'ai beaucoup apprécié ses réflexions autour de la rupture avec son amant (événement qu'elle doit traverser tout en se faisant soigner pour la tuberculose dans un sanatorium) :

"Dans la détresse, c'est parce que je me sens, que j'ai la force de continuer. Si tout change, si tout me fait mal, je suis moi avec moi-même. Pour que je me sois perdue, il aurait fallu que je fusse sûre de n'avoir plus besoin de moi."

"Je suis seule, mais pas plus seule aujourd'hui ; moins peut-être. Ce soir, je sais que tout est cassé, et c'est presque un soulagement. Je vais pouvoir réagir sans être arrêtée par l'espoir déprimant que les choses reviendront comme elles étaient. Je veux oublier et continuer de l'avant sans plus regarder vers vous. Le passé veut mourir. Depuis de longs mois, sans savoir, je lutte pour qu'il ne meure pas. Je me suis raccrochée à lui, à vous... avec rage, avec tristesse, avec amour. J'ai voulu que tout continue immuable... et j'ai dit chaque jour : demain ce sera comme c'était autrefois. Ce "demain" n'est pas venu. Hier encore je l'attendais : aujourd'hui je n'ai plus à attendre. [...] Vous êtes parti, mais je me retrouve et je suis moins seule que ces jours passés où je vous cherchais."


et ce sont surtout ses réflexions sur les rapports h/f que j'ai trouvées intéressantes, parce que toujours actuelles, et pas seulement chez des personnes plus âgées lol :

"Il est curieux comme souvent un homme, au moment où il pense à s'unir avec la femme qu'il aime depuis longtemps, est obsédé de principes moraux et sociaux. Cette femme, il l'aimait parce qu'elle était forte, indépendante, riche d'idées personnelles ; s'il songe à l'épouser, ses instincts de domination, d'amour-propre et sa préoccupation du "qu'en dira-t-on" transforment la force en révolte, l'indépendance en orgueil et mauvais caractère, les idées personnelles en égoïsme et exigences. [...] L'homme sera à l'égard de sa femme respectueux, aimant ; il dira d'une voix douce qu'il ne faut pas aller ici ou bien qu'il ne faut pas aller là, qu'il faut se tenir comme ceci et non comme cela, parce que c'est l'habitude de tout le monde ; la femme dira "oui, mon chéri" ; et quand elle sera avec ses amies, on l'entendra mêler sa voix au choeur universel qui répète orgueilleusement ces mots : "mon mari". Elle met à prononcer ce mot un ravissement plein de superbe, étonnée qu'elle est d'être maintenant parmi l'élite qui peut dire : "mon mari". Chacune à l'envi renchérit sur ce que le "mari" fait, sur ce que le "mari" dit ; toutes les tendresses ou les reproches du "mari" sont dévoilés béatement, comme autant de joyaux apportés en offrande, à la jeune femme. A chaque question posée ou sujet abordé, on est sûr d'entendre : "Je demanderai à mon mari", ou bien : "Mon mari m'a dit...". [...] Faut-il vraiment devenir ainsi et ne peut-on penser qu'avec les idées du mari ? Je peux faire sourire et donner à croire que c'est le dépit qui me fait ironiser. Pourtant, je m'ennuie tellement avec toutes ces femmes qui parlent de leur mari !"


"Pourquoi me dites-vous : "Existe-t-il celui pour qui vous êtes faite ?" On dit à une femme : "Celui pour qui vous êtes faite", et à un homme : "Celle qui est faite pour vous" ; voit-on : "Celle pour qui vous êtes fait" ? L'homme est : tout semble avoir été mis à sa disposition... même quelque part dans le monde une femme à sa convenance, dont l'union avec lui préexistait à sa naissance. Ces mots - "pour qui vous êtes faite" - enferment une adaptation obéissante et soumise dont dépendra le bonheur d'une femme. Chose étrange : la femme est faite pour l'homme et c'est à elle que le bonheur ira. L'homme ne peut-il avoir le bonheur, ou bien son bonheur est-il de sentir la souplesse consentante de celle qui est faite pour lui ? Un homme qui caresse un beau chat siamois cherche-t-il à savoir ce que disent les yeux clairs de la bête ? Ou pense-t-il que seule la caresse peut émouvoir cet animal ?"


bref, excellente lecture



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