Bon t'as sûrement déjà vu l'affiche de Las Vegas Parano dans l'appart d'un étudiant, avec Johnny Depp en chemise hawaïenne, bob de beauf vissé sur la tête et cibiche au coin du bec. Ça c'était avant les années 2000, quand il arrivait encore à jouer correctement sans avoir trois kilos de maquillage sur la gueule.
Le truc c'est qu'avant d'être un film, Fear and Loathing in Las Vegas c'était un bouquin écrit par le "journaliste" Hunter S. Thompson. Et le Hunter, c'est pas le genre de journaliste qui va te faire un duplex sur BFM en direct d'une boulangerie pour te dire combien ils ont vendu de putains de galettes des rois.
Lui son truc, c'est le gonzo (oui oui, comme le type de porno où il y a ni décor, ni costume, ni dialogue, bref, tout ce qu'on aime dans le porno).
Le journalisme gonzo, c'est de l'ultra-subjectif. Tu te souviens de tes cours de philos, thèse anti-thèse synthèse? Lui il prend ça et il le colle dans le cul de Socrate. Lui il pose ̶s̶e̶s̶ ̶c̶o̶u̶i̶l̶l̶e̶s̶ sa version des faits sur la table, et c'est tout, tu te démerdes avec ça. Pas de "selon machin...", "en me référant à..." non lui il écrit à la première personne et basta.
Déjà pour un reportage quelques années avant, il avait trainé plusieurs mois avec un club de motards à moustaches et blousons en cuir, les Hell's Angels. Un reportage à base de "Jean-Mi a couché avec gamine de 15 ans, trop des barres" ou "on a tellement tabassé le mec que maintenant pour se moucher il faut qu'il passe par la bouche". Pendant un concert des Rolling Stones où ils devaient assurer la sécu, ils ont carrément POIGNARDE un type, OKLM.
Bref, c'est carrément bien foutu comme reportage, Nanar de La Villardière et ses bordels de Bogota peuvent aller se rhabiller. Bon le livre se conclu sur Thompson qui s'est fait maraver la gueule par ses potes bikers, pas cools les copains.
En ce qui concerne Las Vegas Parano, au début Thompson doit faire un reportage pour le magazine Sports Illustrated sur une course au milieu du désert, le Mint 400. Mais comme, d'une manière générale, il en a un peu rien à foutre des contrats, il se dit "merde je vais pas bouffer du sable tout un week-end juste pour un article sur des Jacky Tuning". Alors il a une putain d'idée : avec son pote avocat véreux et psychopathe, genre Pablo Escobar qui a arrêté Narcos pour passer l'examen du barreau (inspiré d'un vrai type, Oscar Zeta Acosta), ils vont aller à Las Vegas pour trouver le Rêve Américain.
Bon on va pas se mentir, si on gratte pas un peu sous la surface, le bouquin ressemble à un classement Topito "Les 20 meilleures drogues et leurs effets". Dans la première partie du bouzin, la course de bagnoles est juste un prétexte pour tester un maximum de drogues.
Alors tu vas me dire "ils font quoi dans la deuxième partie?" Et ben ils consomment un MAXIMUM de drogues. Mais alors qu'avant le prétexte c'était un reportage sur Sebastien Loeb qui fait des drifts, là c'est carrément un autre délire : une convention de procureurs sur les narcotiques et les drogues dangereuses.
Tu la sens la grosse ironie?
Bon l'étudiant susmentionné avec l'affiche dans sa chambre, il t'a surement dit "ouais c'est un trop bon film indé, ils prennent un max de drogues, c'est trop subversif..." Et ben NON putain! Enfin si, un peu. Carrément même. Mais c'est pas parce qu'il y a de la drogue que c'est subversif.
Le bouquin est sorti en 1971, et c'est une critique de tout ce que sont devenus les USA. Fini les années 60, l'amour, la fraternité, toutes ces conneries. Bienvenue dans les seventies, avec la guerre du Vietnam et Richard Nixon au pouvoir!
Le Rêve Américain est mort depuis belle lurette, sûrement en même temps que JFK, et maintenant tout ce qu'on peut faire c'est prendre de la coke en bousillant des voitures, mettre à sac des chambres d'hôtel et se barrer sans payer.
Au final, l'article est refusé par le Sports Illustrated (tu m'étonnes, je crois bien qu'il mentionne même pas le résultat de la course dans l'article) et est finalement publié par le magazine Rolling Stones.
Alors forcement il y a eu des mecs pour gueuler. C'est pas du vrai journalisme, c'est pas objectif, qu'ils disaient. Forcement que c'est pas du vrai journalisme Sherlock. Thompson était clairement anti Nixon, et il avait quand même du flair parce que quelques années plus tard, Richard le Roublard s'est fait gauler dans l'affaire du Watergate.
Et oui, tout ce que l'auteur dit n'est pas vrai : si le type avait fait tout ce qu'il a écrit, il serait mort d'une overdose, ou en taule. Mais c'est ça qui fait l'essence même du gonzo : on romance pour enrober les faits.
Les faits, c'est le chocolat. La romance, c'est le papier d'alu. Et Thompson, c'est la marmotte sous LSD. Que ce soit vrai ou pas ce qu'il raconte, l'important c'est que ça POURRAIT être vrai, et fiction ou réalité, ça ne change rien aux conclusions qu'on en tire.
Fiction is often the best fact.