Voilà un livre dont la lecture est éprouvante (du moins le fut-elle pour moi).
Tous ceux qui, fin XIXème siècle, accusaient Zola de faire de la pornographie, n'auraient pas eu de mots assez forts pour décrire ce recueil de nouvelles.
L'écriture de Selby nous plonge littéralement dans le quotidien de quelques épaves qui hantent le pavé new-yorkais. Des chômeurs qui passent leur temps dans un bar. Un travesti qui est accroché(e) aux basques d'un petit voyou. Leader syndicaliste violent, prostituée, etc. Toute une humanité d'exclus, de marginaux, dont le point commun est le bar d'Alex, le Grec.
Dans les six textes qui constituent ce livre, tout est glauque, sordide, sans espoir. Que reste-t-il à tous ces gens ? Boire, se droguer, baiser, tabasser. Des personnages prêts à tout, non pas pour échapper à leur situation, mais pour ne pas y penser. Des divertissements. Se raccrocher à n'importe quoi qui puisse faire oublier, même pour un instant, la position sociale désespérante des individus.

Dans ces textes qui n'ont pas vraiment d'histoire, c'est l'écriture qui tient le rôle principal. Une écriture très intériorisée, qui nous plonge sans prévenir dans les pensées des personnages. Une suite de monologues intérieurs où la narration n'a que peu d'importance. Il faut dire qu'il ne se passe rien : ces personnages ne font rien, n'ont rien à faire, ne peuvent peut-être rien faire. Alors, ils pensent, ils espèrent, mais avec des espoirs à leur portée : une séance de baise, un fix, un verre.
Les paroles, les dialogues sont intégrés dans la narration. Les phrases sont très longues (parfois une page entière), avec une nombre incalculable de parenthèses et de parenthèses à l'intérieur des parenthèses ; on risque de s'y perdre, mais c'est peut-être ce que cherche Selby : une immersion totale, complète, dans ces vies en miettes.
Une immersion douloureuse, tant l'auteur ne nous cache rien. Ne nous épargne rien. On se dit parfois : il ne peut pas décrire ça. Et bien si, il le peut. Et il le fait. Dans une version moderne du naturalisme, mais aussi avec de constants changements de points de vue, il nous fait subir de véritables épreuves de lecture tout au long de ces pages.

Tout en reconnaissant la qualité de l'écriture et l'intérêt du livre, j'ai eu trop de difficultés à le lire pour lui attribuer une meilleure note. Une œuvre à la limite de l'insupportable, du moins selon mes critères.
SanFelice
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les classiques que je n'aime pas (version livres) et Retrospective 2012

Créée

le 25 nov. 2012

Critique lue 1.7K fois

22 j'aime

32 commentaires

SanFelice

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

22
32

D'autres avis sur Last Exit to Brooklyn

Last Exit to Brooklyn
Herpac
10

Critique de Last Exit to Brooklyn par Herpac

Il n'y a sans doute pas plus dur, ni plus vrai, ni plus beau. C'est vieux déjà, mais ce livre dégage toujours la même force. Je le relis tous les quatre ou cinq ans, et c'est toujours le même coup de...

le 23 févr. 2012

4 j'aime

Last Exit to Brooklyn
amandecherie
8

Critique de Last Exit to Brooklyn par amandecherie

Un livre qui vous frappe en pleine gueule et qu'on ne peut plus chasser de son esprit. Soit une suite de nouvelles sur les paumés, les oubliés, les cas sociaux de Brooklyn... Dans un monde régi par...

le 20 mai 2010

4 j'aime

2

Last Exit to Brooklyn
MC_Sauteuse
8

Critique de Last Exit to Brooklyn par MC_Sauteuse

un style brut, perturbant, violent, si près de la vérité que ça en devient poétique. des nouvelles comme Tralala et le début de Coda, montrent que Hubert Selby Jr. est sans aucun doute un des...

le 11 juil. 2012

3 j'aime

Du même critique

Starship Troopers
SanFelice
7

La mère de toutes les guerres

Quand on voit ce film de nos jours, après le 11 septembre et après les mensonges justifiant l'intervention en Irak, on se dit que Verhoeven a très bien cerné l'idéologie américaine. L'histoire n'a...

le 8 nov. 2012

257 j'aime

50

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

221 j'aime

20

La Ferme des animaux
SanFelice
8

"Certains sont plus égaux que d'autres"

La Ferme des Animaux, tout le monde le sait, est un texte politique. Une attaque en règle contre l'URSS stalinienne. Et s'il y avait besoin d'une preuve de son efficacité, le manuscrit ne trouvera...

le 29 janv. 2014

220 j'aime

12