« Rien ne mobilise autant l’esprit d’invention que le désir de détruire »

Avant d’être l’un des films référence des films de sous-marins, sous-genre des films de guerre, le bateau est d’abord un livre, Le Styx en français. Les événements furent pour beaucoup vécus par l'auteur lui-même, correspondant de guerre au service de la propagande allemande et ayant accompagné toute une mission en mer au sein d’un U-96 pendant la seconde guerre mondiale, pour lequel cet ouvrage sera son best-seller. Il est donc essentiel d’avoir à l’esprit que ce livre dépasse le cadre du roman réaliste pour constituer un formidable témoignage de l’époque, opposant à la vision répandue de la meute des prédateurs sous-marins allemands impitoyables, la vision de ces hommes enfermés dans ce qui sera pour la plupart d’entre eux leur cercueil.


C’est d’ailleurs par cette cruelle réalité que le livre s’ouvre :



Sur les 40.000 sous-mariniers allemands qui participèrent à la seconde guerre mondiale, 30.000 ne revinrent pas.



La Kriegsmarine est rapidement présentée avec nuances et complexité, de la jeune génération d’un enthousiasme tout simplement fanatique à la génération plus expérimentée mais aussi plus cynique avec tous les être humains entre ces deux extrêmes. Lorsqu’ils débattent des ordres les plus impitoyables et de la logique de guerre totale dans le contexte de la bataille de l’Atlantique, c’est toute une réflexion sur le conflit de l’époque. Mais cette réflexion porte surtout sur la manière dont le vivait ses hommes diabolisés à l’excès dans la plupart des œuvres s’y penchant, en raison des nombreux crimes de guerre et contre l’humanité associés à leur corps d’armée et à leurs dirigeants politiques.


Sans prendre parti à un seul moment, l’auteur choisi de rappeler la dimension humaine des sous-mariniers allemands dans cette immense théâtre d’opérations maritimes. Leurs conditions de vie sont très détaillées et c’est ce qui contribue à humaniser énormément ces hommes du IIIème Reich, hommes avant tout, s’attardant sur leur manque d’intimité en tout temps, les difficultés récurrentes à trouver un peu de sommeil, la sensation constante de claustrophobie à l’excès, la méconnaissance permanente de leurs prochains ordres... L’approche est presque sociologique à certains moments avec cet équipage formant presque une micro-société, s’inventant quasiment une langue à force de ne parler qu’entre eux.


Les différents rôles de chacun à bord, les choix stratégiques du capitaine à prendre précipitamment, l’anxiété permanente d’une mort inévitable à la moindre erreur ou même simple malchance… permettent de suivre un affrontement de leur point de vue avec beaucoup d’efficacité tant leur statut de poursuivant peut passer à celui de poursuivi en l’espace d’un instant. Les drames humains qui en résulteront octroient également à l’intrigue un potentiel émotionnel non négligeable, notamment grâce à ce travail central d’humanisation des personnages.


L’auteur évoque ainsi à travers son personnage comment il perçoit le sous-marin alors qu’il menace de sombrer :



Le bateau geint et craque de partout, quelque chose claque ! On dirait des coups de feu, et maintenant un crissement aigu, lancinant, qui me pénètre jusqu’à la moelle. Un autre claquement, le bateau craque et geint de plus belle. 270 ! s’écrit quelqu’un. Je ne reconnais pas la voix, mes jambes se dérobent sous moi, c’est donc comme ça que ça se passe.



Mais ce n’est pas le seul angle d’approche de l’auteur pour autant, même si c’est le premier, la course à la technologie en temps de guerre est assez justement évoquée également dans ce contexte avec l’exemple des nouvelles techniques d’attaque des submersibles répondant aux nouvelles techniques de défense des navires en surface et inversement. Cette éternelle chasse aux navires alliés fut en effet un vivier majeur des innovations technologiques les plus importantes de l’époque et ne pas oublier cet aspect par ce récit n’est pas négligeable.


Ce même récit prend le temps de s’étendre sur les caractéristiques techniques complexes de l’appareil, ce qui peut être un peu ennuyeux par moment mais c’est aussi ce qui en fait toute l’authenticité qui était l’une des démarches premières de l’auteur, difficile de lui en vouloir. De plus, profitant d’une position de découverte de ce milieu, au même niveau que celui du lecteur néophyte, le narrateur peut réduire ces explications techniques interminables en des résumés simples allant à l’essentiel de ce qu’il faut retenir, ce qui est plus que bienvenu.


Cet aspect documentaire est aussi contrebalancé par le fait que les passages descriptifs peuvent opposer la rudesse de la machine de la guerre à la beauté paisible de la nature, avec quelques descriptions de paysage très posées avec un style poétique auquel je ne m’attendais pas, encore moins de manière si fréquente. S’éloignant de son huit clos étouffant à ces moments-là, la plume de l’auteur sait marquer ces ambiances radicalement différentes. Si le niveau d’écriture n’est pas sensationnel pour ce que je peux en juger de ma culture littéraire, ça ajoute tout de même une certaine profondeur au récit.


Témoignage inestimable des véritables conditions de vie des sous-mariniers allemands de la seconde guerre mondiale, huis clos anxiogène s’offrant de bien beaux moments pour nous permettre de respirer, cadre de réflexion sur bien des aspects de la seconde guerre mondiale… Le Styx n’est pas toujours facile à lire, parfois nous plongeant dans le même ennui que ces hommes en attente des quelques moments de terreur qu’ils feront vivre et vivront eux-mêmes, mais il est bien intéressant d’en voir cette vision originale en plus de l’adaptation au cinéma disposant de nouveaux outils pour le vivre pleinement.

damon8671
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le 17 mars 2022

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