Très sympathique ouvrage. Un parti pris volontaire, peut-être de légères simplifications (voir la préface d’Alain de Benoist). Je dirais qu’il s’agit à la fois d’un livre d’histoire, mais écrit sous la forme d’une poétique idéologique. L’auteur relate l’épopée sécessionniste, mais ce qui ressort de ses récits, de ses descriptions, c’est une « nostalgie » (mot peut-être inapproprié, vu que nous ne sommes pas américains), une imprégnation de ce que pouvait être cet autre sud, différent de l’amas puant que nous présentent la plupart des films. Disons que pour certains groupes politiques, ce Sud représente le modèle opposé à celui du libéralisme industriel, un modèle d’anarchisme de droite dans lequel l’homme, proche de la nature, accepte ses inégalités. C’est une société aristocratique dans laquelle l’argent n’est pas une fin ; les hommes se cultivent, pratiquent l’exercice, profitent paisiblement de l’existence.
Dominique Venner, dans cet ouvrage de taille parfaite, ni trop long, ni trop court, ne lasse jamais, grâce à un dynamisme, une dialectique constante entre la grande histoire et les anecdotes, portraits, parcours particuliers de personnages mémorables, souvent hauts en couleurs. C’est un livre d’histoire avec les qualités d’un roman.
J’y ai appris des choses intéressantes, comme la volonté libre-échangiste du Sud (normal, pour une économie si spécialisée, notamment dans la culture de coton, et au développement industriel assez faible), le ralliement de nations indiennes au sud, les détails de l’infériorité industrielle du Sud, aggravée par le blocus du Nord, ainsi que tous ces portraits individuels, comme celui de Forrest, avec sa tactique des attaques foudroyantes (qui rappellent un peu les tactiques des Parthes), qui deviendra un des chefs du KKK. D’ailleurs, à propos de celui-ci, Venner défend une vision assez à contre-courant des débuts du KKK loin de semer la mort de manière cruelle et arbitraire, mais exécutant avant tout des criminels noirs émancipés par le Nord, et incités par celui-ci à la vengeance. On pourrait aussi parler du peu de succès de la propagande nordiste d’abolition de l’esclavage chez des populations noires souvent attachées à des propriétaires en général loin de les maltraiter (en général, d’accord?). Sur les causes de la guerre, évidemment , l’abolition de l’esclavage est subsidiaire : le but est avant tout pour les unionistes de maintenir l’union (à leur avantage, avec une supériorité dans la prise de décision qui paralyse les intérêts sudistes). Il est d’ailleurs intéressant de voir que certains arguments juridiques des sudistes avaient déjà été avancés, dans des périodes antérieures, par des Etats nordistes alors gênés par le Sud, avec ses intérêts antagonistes. Car ce qui ressort de la lecture de l’ouvrage, c’est que cette guerre est l’affrontement entre deux civilisations, deux nations. L’émotion est forte au moment de la reddition, avec les larmes de Lee ; on sent que c’est la fin d’une civilisation.
L’image que donne Venner de Lincoln est aussi à contre-courant. Assez négative au départ, avec son intransigeance qui rallie certaines Etats au sud, sa volonté de poursuivre la guerre à tout prix, malgré les défaites, jusqu’au maintien de l’union. Mais vers la fin, l’auteur nuance son portrait, surtout en le contrastant avec celui des radicaux qui feront mainmise sur la politique du pays, et substitueront à la volonté d’apaisement de Lincoln une véritable politique d’humiliation, coloniale, à l’égard du sud.
Mon questionnement, suite à cette lecture, est le suivant : cette guerre était-elle inéluctable ? La victoire du Nord l’était-elle ? Il me semble que le Sud représentait une civilisation certes intéressante, mais dépassée. À lire l’état économique du Sud au début de la guerre, on a l’impression que ce Sud est un avant-goût de ce que seront certains pays du Tiers Monde à l’époque de la division internationale du travail : des territoires trop peu industrialisés, aux cultures trop homogènes pour ne pas dépendre du marché international. D’un autre côté, à un niveau plus large, moins strictement économique, on a plutôt l’impression que ce conflit vient achever le long processus de mutation de la civilisation occidentale, passant de la féodalité à l’âge industriel. Cette guerre concrétise, donne l’exemple, en l’amplifiant, de ce que fut cette transition du contraste entre les deux stades.