Les romans épistolaires, dont le genre est désuet, sont suffisamment rares pour attirer notre attention. Devant un tel succès, difficile de fermer les yeux.
Les dix premières lettres sont difficiles à appréhender car elles nous donnent des informations emmêlées sur des personnages dont on ne sait rien... Un peu comme prendre un film en route (il me manque l'habituel incipit, baromètre littéraire). Je dois avouer que je n'ai pas pensé grand chose du début de l'histoire. En substance, on suit une journaliste, Juliet, en manque d'inspiration dans un Londres post-seconde guerre mondiale. Elle converse avec ses amis de tout et surtout de rien, jusqu'au jour où elle reçoit une lettre d'un certain Dawsey... Dès lors elle va s’intéresser à un cercle littéraire (au nom étrange...) de l’île de Guernesey né durant la seconde guerre mondiale et sous occupation allemande. Une correspondance régulière s’instaure entre les membres du cercle et la journaliste.
Je retiens essentiellement deux choses de l’œuvre. Une première qui m'a été désagréable et une seconde véritable trait de génie.
D'abord la mauvaise, c'est cette sensation pénible de voir une trentenaire, jolie, ancienne "rebelle", cultivée, "activewoman", indépendante raconter ses états d'âme, ses peines de cœur et son shopping. Elle passe sa vie dans des restos ou des cafés de manière assez oisive dans une ville ravagée. Du style adolescente insatisfaite "j'ai du talent pour écrire, tout le monde le sait mais je prétends le contraire" ou encore "il est parfait ce mec mais je ne sais pas si c'est l'homme de ma vie... dépression..." Surtout pour le lecteur car c'est d'une légèreté bien niaise... (Pour pas dire que c'est de la littérature de gonzesse, merde! j' l'ai dit!!) qui n'apporte rien à l'intrigue, mais heureusement expédié en deux coups de cuillère à pot...
L'autre idée bien supérieure qui tranche avec la précédente (et peut être volontairement) c'est d'avoir organisé toute une correspondance qui pourrait répondre à la question : Comment évoquer, subtilement, l'occupation de Guernesey?
Les dizaines de points de vue pleuvent, les lettres racontent des anecdotes très personnelles, souvent graves et tout en retenue. L’écriture atteint ici sa plus grande intensité. Les références culturelles servent le récit et nourrissent la compréhension des personnages. On voit apparaitre des destins croisés... Il fallait bien un personnage comme Juliet qui n'a pas connu directement la guerre pour catalyser les témoignages d'une période troublée.
La mise en place est longue mais vaut le coup.
Finalement il s'agit d'un livre très élégant et habilement amené, mais bon, Briget Jones qui s'accapare le deuil de la guerre, ça m'a fait bizarre...!