Le Château d’Otrante d’Horace Walpole est le roman qui préfigure le mouvement gothique dans la littérature, ce qui le rend en quelque sorte incontournable pour qui s’intéresse au genre. Cependant, que cela soit dit d’emblée, il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre, car s’il se lit plaisamment, sa faible longueur (à peine une centaine de pages) et sa narration empêchent de l’ériger parmi les « grands ». C’est tellement vrai qu’ayant bénéficié d’un grand succès à sa sortie tandis que Walpole se faisait passer pour un simple traducteur d’une œuvre qu’il faisait dater entre 1095 et 1243 (soit entre la première et la dernière croisade), cette popularité chute rapidement une fois l’aveu de sa véritable paternité.
Résumé
Dans la principauté d’Otrante, le seigneur Manfred s’apprête à marier son fils unique et maladif à la jeune Matilda. Toutefois, Conrad meurt mystérieusement avant la cérémonie et après maintes réflexions, le père décide de divorcer de sa femme et de se substituer à son fils afin d’obtenir de nouveaux héritiers. Les conséquences de ce projet sont multiples et engendrent une série de complications qu’entrainent la survenue de Frédéric, père de Matilda, la présence du jeune Théodore que l’on accuse du meurtre de Conrad et l’ecclésiastique Jérôme qui s’indigne de la monstruosité des ambitions de Manfred. Ceci d’autant plus qu’au-dessus d’eux, plane une prophétie sur le point de se réaliser et que beaucoup tentent d’ignorer…
Écriture & narration
S’il y a reproches à faire, ce n’est pas sur le style d’écriture qui est très agréable (et fait notamment assez médiéval et chevaleresque d’où l’illusion qu’il a pu entretenir sur la paternité de son œuvre) mais sur la forme narrative. En effet, celle-ci relève davantage du théâtre que du roman ce qui nous conduit assez inévitablement à déconsidérer un peu l’œuvre. L’action se résume essentiellement à un long enchainement de dialogues qui constitue approximativement 80 à 85% de la rédaction. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne croule pas sous les descriptions ! Les changements de décors sont à peine énuméré ce qui rend l’immersion assez difficile de ce point de vue et seulement quelques notes viennent nous mettre au fait rapidement de l’humeur des personnages en présence. Pour couronner le tableau, l’histoire compte en tout cinq chapitres. Dans la première préface, Walpole ne s’excuse d’ailleurs pas de son style théâtralisé qu’il semble complètement assumé mais cet espèce d’entre-deux genre convainc moyennement et quitte à théâtralisé, il aurait fallu y aller jusqu’au bout.
Personnages
Les différents personnages présents dans le livre sont pour certains de parfaits stéréotypes comme les deux vierges en détresse que sont Matilda et Isabella, toutes deux victimes de passion masculine dont elles tentent de se soustraite. La mère Hippolita se caractérise aussi par un dévouement naïf à son mari, et de l’autre côté, le parfait chevalier est également mis en scène en la personne de Théodore prêt à défendre les demoiselles contre le seigneur des lieux. Toutefois, cette première impression manichéenne est balayée par d’autres intervenants puisque le tyran Manfred se révèle capable de remords à plusieurs reprises et le chevalier Frédéric mène un véritable combat intérieur, peinant à choisir entre son plaisir personnel ou le salut du domaine. La dualité de ces deux personnages nous fait d’ailleurs osciller entre empathie et antipathie à leur égard tout le long du roman. Cela dit, les personnages sont assez grotesques dans l’ensemble (surtout pour un lecteur du XXIe) ; il ne faut donc pas s’attendre à des psychologies vraiment réalistes. Malgré cet aspect, la lecture ne me semble pas gâchée pour autant ; elle participe au contraire du charme de l’œuvre.
Intrigue
J’ai trouvé l’intrigue en elle-même assez tragicomique avec l’obstination de Manfred, la stupidité ingénue de sa femme et la témérité de Théodore sur fond de malédiction familiale. Il y a quelque chose d’assez shakespearien dans toute cette mise en scène dans le fond, ce qui n’est pas étonnant du reste puisque Walpole revendique dans sa seconde préface s’être inspiré de lui. Bien évidemment, tous les codes qui seront repris et feront le succès du genre sont présents : le château, le religieux, les souterrains, le cimetière, les passages secrets, les soupirs dans le noir, les tableaux qui bougent, les apparitions fantastiques, le squelette qui parle, etc. Même si on ne ressent aucune frayeur quelconque en lisant ce livre, l’histoire reste prenante et riche en rebondissements divers auxquels on ne s’attend pas forcément. Certaines scènes ne sont pas crédibles, mais la chose reste néanmoins cohérente dans la mesure où Walpole faisait passer le récit pour moyenâgeux, et connaissant les situations proprement loufoques que peut contenir la littérature médiévale, il n’y a finalement pas de quoi s’en étonner. Ça participe d’un genre qu’on ne s’autoriserait sans doute plus aujourd’hui par souci de vraisemblance. S’agissant de la fin, je l’ai trouvé excellente puisqu’elle est tempérée et finalement assez poétique.