Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2018/04/le-cinema-japonais-de-tadao-sato.html


Chronique commune aux deux tomes.


Encore un ouvrage portant sur le cinéma japonais envisagé de manière globale – mais un plus gros morceau que les précédents envisagés sur ce blog, dus à Donald Richie et, bien plus bref, à Max Tessier. C’est aussi, à titre personnel, une relecture – je m’étais fait ces deux beaux volumes lors de ma Première Phase Nippone, il y a de cela presque quinze ans… Mon souvenir était plutôt favorable – ce qu’a globalement confirmé cette relecture, même s’il me faudra apporter quelques nuances.


Il a de toute façon un atout indéniable : ces deux volumes au format « beaux livres », et d’un beau papier, sont très abondamment et joliment illustrés (même si seulement en noir et blanc) – les autres ouvrages consultés ne peuvent tout simplement pas rivaliser avec celui-ci à cet égard. Parcourir ces beaux objets n’en est que plus agréable, et cette illustration éclaire éventuellement des choses qui demeureraient sans doute bien trop abstraites à se voir simplement consacrer quelques lignes sans véritable référent visuel.


L’autre grand atout de ce Cinéma japonais du célèbre critique nippon Satô Tadao (adapté plutôt que simplement traduit de son Nihon eiga shi originel, en quatre volumes) réside à mon sens dans le premier des deux tomes : après une introduction qui a un peu tendance à partir en vrille du fait d’un plan contestable (un travers qui resurgit çà et là par la suite), nous avons droit à quelque chose comme 200 pages de développements sur le cinéma japonais de 1896 à 1945. C’est bien, bien plus que dans le bouquin de Richie, sans même parler de celui de Max Tessier – et c’est passionnant. Vous me direz : « Ouais, mais la plupart de ces films ont disparu, et/ou n’ont jamais été diffusés en dehors du Japon… » Ce qui est parfaitement exact. Seulement, l’étude de Satô Tadao est très serrée et passionnante de bout en bout, avec des focales de temps à autre sur tel ou tel sujet particulier, très appréciables – par exemple sur ces acteurs japonais partis à Hollywood et qui tournaient dans des films très « péril jaune », le plus célèbre étant Hayakawa Sesshû ; mais ce ne n’est qu’un exemple parmi tant d’autres – on pourrait parler aussi des rapports entretenus avec le kabuki, notamment via les acteurs de rôles féminins, onnagata, ou encore des effets spéciaux dans le cinéma de propagande, ou comment certains cinéastes ont trouvé à ne pas se mouiller pendant la guerre ou bien au contraire en ont fait les frais…Plein de choses passionnantes. Tout ceci étant largement inédit pour le lecteur occidental, il y a vraiment de quoi faire dans ce premier tome.


Cependant, le format employé jusqu’alors trouve probablement ses limites dans le tome 2 – non qu’il soit à proprement parler mauvais, il ne l’est pas… Mais il est épuisant, disons, et lacunaire. En effet, le livre de Satô Tadao, pris dans sa globalité, a un côté encyclopédique qui, tout d’abord, le sert, mais le dessert en définitive à force d’accumulation. L’analyse transversale cède éventuellement le pas à la multiplication des notices consacrées à tel film, puis tel autre, puis tel autre… C'est sans fin. À n’en pas douter, Satô Tadao évoque beaucoup, beaucoup plus de films que Donald Richie et compagnie, et par ailleurs de manière plus approfondie. Cependant, ce format, qui me paraissait approprié dans le premier tome, perd en pertinence dans le second, où l’ouverture internationale du cinéma japonais et tout autant la litanie des grands noms et des grands films connus rendent le tableau à la fois plus fatiguant à la lecture (on enchaîne les notices, et l’écueil de la paraphrase est toujours à craindre) et frustrant de par son caractère lacunaire – car, avec les centaines d’œuvres évoquées ici, on ne peut que s’étonner de certaines absences…


« S’étonner » ? Ce n’est peut-être pas le mot – car c’est souvent le cinéma de genre qui trinque, comme toujours. Non que Satô Tadao néglige globalement le cinéma populaire, certainement pas – et il ne se pince pas forcément le nez devant les succès commerciaux, le cas échéant ; mais voilà, s’il est très volubile concernant quantité de mélodrames ou de comédies légères, il ne dit qu’assez peu de choses, au mieux, concernant les films de yakuzas ou certains pinku eiga (la surprise, s’il doit y en avoir une, c’est qu’il loue volontiers quelques roman porno, notamment), encore moins (et là ça coince, quand même) concernant le chanbara, quasiment rien du tout à propos du cinéma fantastique ou de science-fiction… Comme d’hab’, certes. Mais c’est toujours un peu dommage, tout de même.


Et la multiplication des notices peut aussi, par défaut, souligner quelques absences dans un cinéma davantage tourné vers le « prestige ». En même temps, il y a comme un regrettable effet d’ « aplatissement », disons, au sens où films majeurs et curiosités très oubliables et éventuellement déjà oubliées sont traités exactement sur le même plan, fond et forme… Autant de limites de l’encyclopédisme, qui promet éventuellement l’exhaustivité, une promesse impossible à tenir, a fortiori de manière juste et satisfaisante…


Ajoutons un ultime défaut, qui vaut pour les deux tomes : la traduction n’est pas toujours au top. Trois traductrices ont travaillé sur cet ouvrage, en se répartissant les chapitres, et le niveau global est un peu inégal, avec un certain nombre d’imprécisions sinon de pains à proprement parler, et, régulièrement, des termes techniques plus ou moins bien compris, et des références plus ou moins bien relevées. Rien de dramatique je suppose, mais j’ai tout de même eu l’impression d’un travail pas vraiment à la hauteur de la plastique de l’ouvrage.


Laquelle demeure son principal atout – et, je crois, un atout suffisant, même dans ce deuxième tome qui m’a moins satisfait que le premier, lequel était davantage inédit et fouillé et enrichissant. Mais, oui, globalement, ça vaut le coup – probablement plus que les autres ouvrages consacrés au cinéma japonais dans son ensemble que j’ai pu lire, et ils n'étaient pas tous mauvais loin de là.

Nébal
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le 14 avr. 2018

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