L'acier et la fureur

Vous savez, il est difficile pour moi de parler d'Elric sans évoquer le rapport particulier que j'entretiens avec lui. Ce chef-d'oeuvre de la Sword & Sorcery occupe une place très importante dans mon cœur, c'est l'un des premiers bouquins de Fantasy que j'ai lu en un temps pas si lointain mais perdu à jamais dans les brumes du passé, et qui m'ont montré que les littératures de l'imaginaire ne se résumaient pas à des amourettes de midinettes avec des vampires et des loups-garous.

Et quel putain de bouquin c'était ! L'épopée écrite à l'encre de sang d'Elric, ultime empereur-dragon de Melniboné, assassin involontaire de sa bien-aimée, l'une des incarnations du Champion éternel, censé garder l'équilibre de la Balance Cosmique dans le multivers, féroce guerrier et puissant sorcier, pris dans une lutte entre les seigneurs de la Loi (la stabilité, mais dans une trop grande mesure, également la stagnation) et du Chaos (la destruction, mais également le changement et le bouillonnement créateur). Maniant Stormbringer, épée buveuse d'âmes dotée d'une volonté propre, seule chose en ce monde, mises à part ses potions, capable de garder en vie son corps d'albinos chétif.

Tout comme l'Angleterre, l'ile de Melniboné régna sur le monde des Jeunes Royaumes, univers aux contours délibérément flous pour entretenir son atmosphère onirique. Bien que toujours puissant, le glorieux empire des melnibonéens, êtres qui ne connaissent ni la pitié, ni le remords, est à présent l'ombre décadente de ce qu'il était, après 10 000 ans de gloire et de règne ininterrompu. Elric, albinos à l'âme sombre et torturée, dernier de ses empereurs, est un melnibonéen particulier : son ambiguïté morale apparente cache un profond sens de la justice, ainsi qu'un immense amour pour Cymoril, sa bien-aimée. Il reste pensif sur son trône de rubis sans savoir qu'en tant qu'incarnation du champion éternel, il sera malgré lui appelé à une destinée aussi tragique qu'elle sera mémorable, le conduisant inéluctablement à une mort tragique au cours d'une apocalypse totale, après avoir vu tous ceux qu'il aimait périr.

Michael Moorcock a écrit Elric sur près de 30 ans, aussi les tomes sont assez inégaux, un coup c'est un recueil de nouvelles, un coup c'est un roman, les tomes vont du pas mal (avec quelques longueurs), comme Elric le Nécromancien, au sublime, comme la Revanche de la Rose.

Mais force est de reconnaître l'incroyable diversité dans les péripéties, la variété dans les thèmes et les questionnements existentiels, dus à l'imagination débordante de Moorcock, qui nous entraîne dans cette apocalypse baroque et flamboyante. Un coup Elric va se fritter avec son cousin dans une autre dimension, un coup il doit explorer des contrées oniriques pour y découvrir une perle, un coup il met à mort un seigneur du chaos qui ressemble pas mal à Cthullhu, un coup il doit se rendre avec d'autres incarnations du champion éternel dans une tour qui voyage à travers les univers.
Elric est l'un des personnages de la Fantasy les plus particuliers et plus torturés, c'est la raison pour laquelle tant de personnes l'adorent, et pour laquelle tant d'autres le détestent et trouvent qu'il n'est rien de plus qu'un emo trop d4rk de la mort qui tue, dans le genre de DarkSasuke69.

Un incontournable de la Sword & Sorcery, et un précurseur de la Dark Fantasy, à l'opposé total de la S&S de l'époque, bourrée de barbares archi-musclés qui ne dépareilleraient pas sur une pochette d'album de Manowar.

Mais je vous recommande de lire le cycle non dan l'ordre d'écriture, mais dans l'ordre chronologique, ça sera mieux pour comprendre la substantifique moelle de l'histoire.
Par contre, beaucoup n'accrochent pas au récit, du fait de son originalité, c'est pas grave si c'est aussi votre cas, donc.
Et c'est pas grave, la vie est bien trop courte pour lire des bouquins qui nous font pas envie ^^.

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PS : Je recommande aussi l'épée brisée, de Poul Anderson, l'une des principales sources d'inspiration de Moorcock.