Le Docker noir est un livre pluriel car il propose de considérer l’existence de Diaw Falla sous plusieurs angles. Cet anti-héros d’origine africaine du vingtième siècle est déjà scruté pendant son procès pour meurtre d’une écrivaine à Paris et sa mère tente de lui trouver du soutien au Sénégal. Première strate.Ensuite, on découvre Catherine, compagne de Diaw Falla à Marseille, avec laquelle il partage plus des moments de vie que de réelles affinités intellectuelles. Pourtant, elle est tombée enceinte de lui et le somme de s’engager, ce qu’il ne souhaite pas car il est pauvre et docker et vit dans un hôtel miteux au jour le jour. Deuxième strate.Ensuite, une succession de récits démontrent de manière presque chirurgicale les raisons pour lesquelles Diaw Falla se sent inaccompli par la vie qu’il mène ( même si sa place dans la diaspora noire de Marseille n’est pas négligeable, qu’il est un collègue concerné refusant les cadences sur les postes de travail) mais surtout bafoué car on lui a volé le livre qu’il a écrit sur l’esclavage ( et de voir donc précisément pourquoi Falla en arrive au procès) Ousmane Sembène fait osciller son récit entre la complexité intérieure de Diaw (ne se trouvant jamais à sa place, satisfait et inutile ) et sa condition d’homme noir dans la société des années 50 ( inconsidéré, enfermé dans des cases réductrices et honteuses comme ses congénères). Ouvrage sans concessions, le Docker noir finit même sur un réquisitoire politique et social que Diaw Falla écrit de sa cellule à son oncle. Ce chapitre intitulé La lettre fait terminer le livre sur un ultime cri rageur envers ceux qui gouvernent mal la France et ont des œillères sur la misère sociale et intellectuelle. La construction alambiquée du livre, prenant son temps pour exposer mais délivrer des vérités existentielles assez cinglantes, est la force indéniable du Docker noir; où le lecteur peut aussi comprendre la colère d’un homme noir éclairé sur la marche inexorable de la société ne lui offrant ni satisfactions ni consolations. Que la lecture de ce livre-témoignage est âpre mais qu’elle regorge de cette incitation à ne pas s’incliner tout en ayant les yeux bien ouverts.