Encore une sortie d'Âge d'or Callidor, encore un achat, encore une lecture.
Et cette fois, il s'agit du "premier" roman de fantasy russe.
Dans cette œuvre, l'auteur nous propose de nous plonger dans une civilisation préhistorique, de partager le quotidien d'une tribut, de vivre avec elle ses rites, ses joies, ses souffrances, pour finalement nous amener à une situation représentant ce que Jung appellerait un archétype (spoiler complet sur la fin :
le chevalier se battant contre le dragon pour protéger la princesse).
On retrouve dans ce roman tous les ingrédients d'une bonne œuvre de fantasy : un langage volontairement vieilli, une civilisation dépaysante à découvrir, un monde inconnu, mais aussi des monstres, des dieux, et de la magie peut être....
Il ne se passe, à proprement parler, rien dans ce roman : la narration, très sobre, nous montre ce peuple des Anaks vivant sa vie au rythme des rites saisonniers, nous indiquant leurs significations, montrant la "magie" de ses sorciers etc.
Mais alors pourquoi le noter 6 ?
Et bien parce que la fin est ratée. Le lecteur a l'impression qu'une action commence au début de l'histoire, que rien ne se passe dans le roman, et quand, enfin, arrive le point d'orgue, cela échoue.
Est-ce parce que la narration est trop longue ? Non : un roman où il ne se passe rien peut être une excellente histoire. Est-ce que le scénario est inintéressant ? Point encore.
L'intention de l'auteur est pourtant claire : créer une situation de crise, faire découvrir la vie des Anaks, que le lecteur prenne le temps de les aimer pour les voir arriver à une fin atroce qui le chamboulera intérieurement et le préparera à cet archétype, point d'orgue suprême. Sauf que ces Anaks, le lecteur ne les aime pas.
Car finalement ce qui manque à ce roman est capital : un personnage. Comme dit Virgina Woolf, tout roman commence avec une "vieille dame assise en face de soi", une Mrs Brown. Ainsi, dans Les Centaures, le lecteur suivait la vie de ces créature à travers Kadilda, ses doutes, ses peurs, ses désirs, bref sa personnalité qui nous faisait ressentir les coups et les revers subits par son peuple, et ce malgré un narrateur très extérieur à l'histoire.
Mais dans ce roman il n'y a aucun héros ou anti-héros pour lier émotionnellement le lecteur aux Anaks. Le personnage est censé être la tribu dans son ensemble mais cela ne fonctionne pas.
Le travail de l'auteur est très intéressant : rassembler des rites qu'il a constaté, des mythes qu'on lui a raconté, des arts de vivre partagés bref reconstituer une civilisation entière à partir des récits et des fréquentations des tribus en Sibérie pour créer un peuple historiquement vraisemblable, montrant ainsi que l'homme a toujours été tel qu'il est, agité des mêmes soucis, que celui d'hier ne diffère à celui de demain que par la couleur de sa civilisation.
Mais la conclusion est que j'ai traversé cette histoire sans ne m'attacher à personne : l'auteur me dessinait une fresque, une fresque belle, antique, mais une fresque ne pousse pas à ressentir quelque chose.
Elle ne retranscrit pas les doutes et les certitudes, les joies et les souffrances des personnages, ce qui fait qu'à son terme, quand l'histoire, dans une terrible apogée de souffrance, veut pousser le lecteur devant son archétype jungien et ainsi l'impressionner au plus profond de lui-même, réveiller une pulsion profondément ancrée dans sa nature humaine, elle échoue car nous avons regardé cette fresque avec des lunettes d'historien et non un cœur d'homme.
A nous montrer la tribut, le lecteur a ignoré les individus et voit d'un œil sec les horreurs s'agiter sous ses yeux. Cela ressemble à un orage lointain, on sent qu'il y a quelque chose de terrible, mais on ne le vit pas. Ce qui fait, qu'enfin, sa leçon consistant à montrer la continuité de nature chez l'homme rate complètement. L’œuvre échoue dans son art et sa leçon.
Alors que faire de ce livre ? Je recommande sa lecture à tous ceux qui sont intéressés par la littérature. L’œuvre n'est pas mauvaise et son échec est très enrichissant sur ce qu'est censé faire le roman : nous faire rencontrer quelqu'un, et nous faire ressentir quelque chose pour lui.
En outre, je recommande en parallèle la lecture des Centaures dont il a été fait mention ici qui réussit très bien là où Dragon de Lune échoue, concrétisant parfaitement ce que dit Mrs Woolf :
Les grands romanciers, pour nous montrer ce qu'ils veulent nous montre, utilisent le regard d'un personnage. Sinon, ils ne seraient pas romanciers, mais poètes, historiens ou pamphlétaires.