Bernard Charbonneau, ami de Jacques Ellul, est un des pionniers de l'écologie politique, ainsi qu'un des principaux critiques français de la Technique. Aujourd'hui quelque peu oublié, encore qu'il est republié depuis quelques années, sa pensée à la fois extrêmement radicale, concrète, pragmatique, lucide et exprimée dans une langue simple et sublime, refusant le jargon des scientifiques, des technocrates ou des publicitaires, garde toute sa saveur et toute sa pertinence aujourd'hui. Cet essai visionnaire, paru en 1980, visait à poser un regard critique sur le mouvement écologique naissant et à réfléchir à ses possibilités d'évolution.
De fait, l'essai allie
1° Une critique profonde et extrêmement lucide (qui ne cesse de se vérifier depuis !) de la coalition du capitalisme et de l'Etat, des technocrates et des publicitaires, dont les hommes politiques sont les serviteurs consciencieux, offrant en spectacle un bipartisme qui n'est qu'une apparence, orientée vers la mise en place d'un « développement » aveugle, reposant sur la vieille idée du XIXe siècle d'un possible développement infini dans un monde infini alors qu'il s'agit de prendre conscience que celui-ci s'exerce désormais de façon indéfinie dans un monde fini. L'écologie est d'abord une question de réalisme et de pragmatisme contre les idéalismes des idéologies (y compris quand elles sont matérialistes) et de la science pourvoyeurs d'illusions et de fantasmes qui nous font oublier la réalité concrète, sans parler du spectacle de la vie urbaine et médiatique hors-sol. Il s'agit donc pour l'écologie de se purger de ses éléments « gauchistes et anars » qui entretiennent ces mêmes fantasmes de l'idéologie plutôt que de considérer l'existant pour ce qu'il est, et pour ce qu'il sera sans doute toujours. Or, qu'est-ce que l'écologie, sinon la défense de l'existant ? L'écologie est nécessairement conservatrice, ce qui ne l'empêche pas de poursuivre des objectifs révolutionnaires : l'écologie est motivée par la contradiction de la liberté et de la nature, toutes deux mises à mal par le système technicien qui, par son développement aveugle, cause un chaos permanent appelant en retour une organisation toujours plus stricte de la société, passant par la manipulation des masses. Pour Charbonneau, il s'agit de réaliser les idéaux trahis de 1789.
2° Une vaste réflexion sur l'organisation d'un mouvement écologique révolutionnaire, appuyé sur le principe fédéraliste : « small is beautiful » devrait en être la rengaine ; c'est du plus petit échelon que le mouvement doit partir. L'écologie est ici perçue de façon radicale et profonde, dans une critique minutieuse de la société technique et marchande dans ses moindres détails. L'alternative est un anarchisme conservateur fondé sur les collectivités locales démocratiques en rupture totale avec le système médiatique et électoral actuel, dont Charbonneau a très bien vu les perversions.
En somme, quarante ans plus tard, le livre ne me semble pas avoir pris une ride, et bien des phénomènes actuels, tel que la récupération de l'écologie par le système médiatico-politique, l'obligation d'adopter des mesures « écologiques » contraignantes par la technocratie dans un régime de contraintes imprévues et pour lesquelles on ne s'est pas préparés, sont déjà fort justement anticipés. Reste que, quarante ans plus tard, tout paraît encore être à faire.