Une suite très solide
Honnêtement je me suis perdu quelque fois dans la profusion de factions et de titres qui compose la faune de cette série. un début un peu lent et une vision macro m'ont un peu fait peur au début......
le 26 janv. 2015
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(Critique de la trilogie complète)
Série Fantasy reconnue comme l’une des meilleures du genre, Le prince du Néant possède une réputation clivante qui sépare fans et détracteurs. Les fans diront qu'après cette lecture toutes les autres séries paraissent sans intérêt et sont unanimes pour louer l’écriture brillante, l’histoire épique d’une noirceur rare, le charisme des personnages et l’univers d’autant plus original et complexe qu’il met au centre des questionnements philosophiques.
Les critiques portent surtout sur l’excès de violence et de sexe, notamment de viols, la représentation misogyne des personnages féminins, et l’écriture comme l’univers d'une grande confusion.
A mon avis pour bien juger cette série il faut distinguer plusieurs choses : la qualité de l’univers – fascinant –, celui de l’histoire – avec ses forces et défauts –, et enfin le contenu intellectuel – faible.
Mais commençons par la légende noire : si la série de R. Scott Bakker est bien sombre et violente, cet aspect « grimdark » m’a paru du même niveau que celui de l’adaptation télévisuelle « Game of Thrones ». La condition des femmes paraît malheureusement crédible dans cet univers ancien et réaliste. Bref la série n’est pas à mettre entre toutes les mains mais sans mériter sa réputation extrême.
Passons à la plus grande réussite de R. Scott Bakker : son univers. Original et subversif, sa force tient autant à sa complexité qu’à sa cohérence. Car si le monde imaginaire de Bakker est terrifiant, il est le produit d’une métaphysique implacable et d’événements historiques fondateurs. Les peuples et factions humains sont assez classiques et souvent des décalques historiques - empire romain, tribus des steppes, peuples arabes – mais les races imaginaires sont originales. Ici pas d’Elfes, d’Orques ou Nains, mais des Srancs, Inchoroi, Nonmen. En résulte un univers en dehors des schémas traditionnels, crédible et cruel mais aussi rafraîchissant.
Voici le début de l'histoire :
Des millénaires avant le début des événements de cette première trilogie, l’émergence d’un Non-Dieu déclencha un véritable cataclysme. Soumises à lui, des hordes de races inhumaines annihilaient peuples et civilisations sur leurs passages tandis qu’au même moment tous les bébés naissaient morts-nés. L’apocalypse semblait proche mais le Non-Dieu fut finalement vaincu au prix d’immenses batailles et massacres. Sa légende, désormais lointaine, n’inspire plus guère de crainte.
Le premier tome commence alors qu’une croisade pour délivrer un lieu saint se prépare. Apparemment un conflit religieux et politique comme il y eut tant d’autres. Mais, pour ceux qui s’en inquiètent encore, des signes indiquent le retour du Non-Dieu et le déclenchement d’une seconde apocalypse…
Nous suivons alors trois personnages principaux : Kellhus, un individu aux capacités intellectuelles et physiques hors du commun, Achamian, un sorcier et espion, et Cnaiür, un barbare féroce à moitié fou.
Disons-le : le scénario de cette première trilogie est excellent et un résumé en quelques pages donnerait un récit sombre et puissant d’ampleur biblique. Mais la trilogie complète fait plus de deux mille pages et souffre de gros problèmes de rythmes. Ainsi le premier volume est captivant durant une première moitié, puis s’étiole dans la seconde. Le deuxième tome ne décolle jamais vraiment et le final est trop facile pour être satisfaisant. Le troisième volume maintient enfin l’intérêt jusqu’à un final frénétique, haletant bien qu’aussi un peu lassant par excès d’action et de dramatique. Bref l’auteur tire visiblement à la ligne pour atteindre le calibre éditorial d’une trilogie et l’histoire contient un bon tiers de pages faibles. Ces longueurs sont d’autant plus évidentes que Bakker révèle très lentement les caractéristiques de son univers, si bien que même après lecture complète cette trilogie laisse une impression nébuleuse et un grand nombre de questions irrésolues.
Autre défaut notable, l’histoire possède un certain nombre d’incohérences et de facilités scénaristiques dont l’irrationalité détonne dans cet univers réaliste :
Ainsi toutes les forces du peuple guerrier Scylvendi sont vaincus lors d'une bataille par une stratégie basique. Le Scylvendi Cnaiür arrive à obtenir le titre de général en chef de la croisade au détriment de Conphas, grand stratège et vainqueur récent des Scylvendis, alors que c'est un hérétique, un ennemi héréditaire et un vaincu sans mérite. Achamian ne révèle pas l’existence de Kellhus à ses supérieurs alors qu'il correspond à celui qui provoquera la Seconde Apocalypse. Quant à lui Kellhus révèle trop souvent et de façon inutile des secrets importants tel que son vrai nom, la nature de son peuple et ses capacités, et trouve par miracle assez d'eau dans le désert pour son armée. Et que dire de La Consulte qui sacrifie bêtement des démons majeurs lors de la bataille finale...
Mais le principal défaut narratif provient sans doute des personnages tant principaux ou secondaires. Etonnant mais vrai : aucun personnage n’évolue au cours des deux mille pages de l’œuvre. Leurs caractères restent immuables malgré de nombreux événements marquants et Kellhus reste ce prodige physique et intellectuel, Cnaiür ce sauvage rusé mais borderline, et Achamian cet homme banal écrasé par ses pouvoirs et responsabilités. Cette psychologie sommaire est encore plus flagrante chez les personnages secondaires, parfois simples jusqu’à la caricature. La seule évolution réelle est celle d’un personnage féminin au début du tome 3 :
Esmenet découvre le pouvoir après avoir été toute sa vie une réprouvée.
Sur l’écriture, point souvent noté par les fans, R. Scott Bakker possède un style particulier mêlant prolixité et obscurité. La facilité à écrire des scènes et développer des thèmes – le camp, la poursuite… – est évidente, tout autant que le goût pour l’imprécision et le mystère. Pas de miracle sur les scènes d’actions, confuses comme chez la plupart des auteurs.
L’œuvre de Bakker est réputée pour son caractère intellectuel presque unique dans le genre Fantasy. L’auteur est effectivement philosophe de profession et on devine ses thématiques principales ainsi que les idées représentées par certaines races, personnages et magies. Ce contenu philosophique n’est cependant guère complexe et sa profondeur apparente n’est dû qu’à sa présentation absconse : les débats présents sont vagues et nombre de personnages décris comme intelligents prononcent des discours creux. A noter que la lecture du blog de l’auteur et de ses essais montre le type classique du philosophe marqué par Nietzche et la tradition continentale, préférant l’originalité des idées et les paradoxes à la logique et la science. Dommage.
A l’origine R. Scott Bakker projetait d’écrire une trilogie. Le premier volume est devenu une trilogie, le second une tétralogie, et le dernier reste à écrire. Tout est là : l’histoire, excellente sur le papier, ennuie souvent par ses longueurs et l’univers, fascinant et cohérent, se révèle à une allure de tortue. Quant aux thématiques philosophiques, elles diluent leur potentiel par leur présentation obscure et confuse qui correspond au style intellectuel de l’auteur.
Sorte de mélange entre Tolkien, Dune et Nietzsche, ainsi que Lovecraft et la Bible, la série Le Prince du Néant est certainement unique dans le genre Fantasy par ses choix créatifs originaux et assumés. La vraie force de l’œuvre tient dans ses questionnements métaphysiques et moraux utilisés comme fondations mythologique et historique. Aux intéressés, découvrir d’abord le fandom et les forums de la série peut être une bonne porte d’entrée.
Créée
le 11 nov. 2023
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