À la fin des années 60, alors que les États-Unis s'embourbaient de plus en plus profondément au Vietnam, l'un de mes artistes préférés, le chanteur engagé Phil Ochs, a eu une idée : et s'il suffisait de dire que la guerre était finie pour qu'elle le soit vraiment ? Après tout, on déclare les guerres, alors pourquoi ne pas déclarer la paix ? Comme Ochs était auteur-compositeur, il en a fait une chanson, The War Is Over, et il a organisé quelques concerts autour de ce concept. C'est une idée brillante de simplicité, on la retrouve dans d'autres chansons de cette période, comme Happy Xmas (War Is Over) de John Lennon ou, plus naïvement, dans Universal Soldier de Buffy Sainte-Marie, mais c'est sans doute un slogan hippie qui l'encapsule le mieux : « et s'ils organisaient une guerre mais que personne n'y allait ? »
Mais si on va par là, alors le contraire est valable aussi. S'il suffit qu'on dise que la guerre est finie pour qu'elle le soit, alors il suffit d'une personne qui considère qu'elle ne l'est pas pour qu'elle ne le soit pas. Dans ce cas-là, la Seconde Guerre mondiale ne s'est achevée qu'en 1974, avec la reddition des derniers soldats japonais perdus dans les jungles du Pacifique, persuadés d'être toujours liés par leur devoir de défendre la patrie contre ces chiens de Yankees. Et c'est une pensée nettement moins réconfortante. À moins d'en prendre le parti d'en rire.
Voilà le point de départ du Héros oublié de Henrik Tikkanen, publié dans sa langue originale en 1977 : un Hiro Onoda finlandais. Oublié au fin fond des neiges de la Scandinavie à la suite d'un improbable concours de circonstances, Victor Käppära continue pendant trente ans à poursuivre une lutte absurde contre un ennemi soviétique qui n'existe plus que dans son esprit. Ce personnage, que l'on suit au final assez peu, est surtout un prétexte pour brocarder pêle-mêle l'armée, les médias, la classe politique, l'administration et le grand public dans tout ce qu'ils ont de déplaisant : hypocrites, calculateurs, bêtes à manger du foin. Le tout avec un cynisme consommé qui réjouira les admirateurs de Pierre Desproges qui ont tout lu du Français et cherchent à assouvir leur soif de sarcasme ailleurs. Les bons mots sont légion, je vous en offre un mais le livre en est constellé :
« Mais il est fou, ce type », ne put s'empêcher de dire le médecin en entendant le récit du commissaire.
Cette exclamation offusqua ce dernier, qui demanda alors comment il pouvait se faire que l'obéissance et la discipline passent pour de la folie. Ce soldat ne faisait que son devoir ; comment parler de folie ? Il ne faisait rien d'autre que ce que l'armée finlandaise avait fait pendant quatre ans. Si ce soldat au bord de son lac était fou, tous les soldats de l'armée finlandaise avaient été fous. Toute la guerre n'aurait donc été qu'une aberration, toutes les victimes seraient mortes pour rien et Risto Ryti, Väinö Tanner et Mannerheim auraient fait preuve d'égarement mental dans leur désir de défendre l'indépendance de la Finlande. Le docteur ne pouvait quand même pas soutenir cela.