Philosophie de l'insaisissable contre l'esprit de système, Jankélévitch parvient - s'il n'est le premier il est sans doute le meilleur - à élever la pensée à son contraire : l'indéfinissable, l'"ineffable" et l'infiniment marginal ne sont pas moins la réalité vécue de notre existence que les théorisations formelles et presque mathématiques qui se veulent explicatives de toutes choses. L'être est plus qu'il ne s'explique, il se ressent mieux qu'il ne se décrit. L'existence se place non pas dans le rationnel mais dans un conglomérat d'inexpliqués : c'est le je-ne-sais-quoi que nous procure ce presque-rien, cet instant infiniment bref d'une musique qu'on apprécie particulièrement, c'est le je-ne-sais-quoi de la liberté, le presque-rien d'un souvenir. Bref c'est une recherche de l'insaisissable de l'expérience qui fait défaut à la philosophie rationaliste à la Spinoza qui voudrait expliquer la vie par A + B et qui a tant mené la danse de notre pensée occidentale ces derniers siècles.
Jankélévitch excède le système et révèle par là l'homme dans son humanité entière. On retrouve donc la vieille opposition philosophique entre l'école éléate qui fondait toute ontologie sur la logique par-delà même l'évidence de l'expérience et l'école ionienne où la connaissance émerge dans le paradoxe : Jankélévitch est l'un de ces derniers; il porte l'un des coups de couteau au rationalisme déclinant de la philosophie pour en commencer une nouvelle.
La philosophie de Jankélévitch s'encastre dans sa passion musicale. On ne comprendra pas l'un sans l'autre. La Musique et l'Ineffable est un indispensable pour comprendre, découvrir et appliquer sa philosophie. Dans une explication plus précise d'une oeuvre musicale spécifique, son étude de Debussy (Debussy et le mystère de l'instant) est une bonne porte d'entrée au je-ne-sais-quoi et au presque-rien.