Jonathan Tropper a fait du Livre de Joe une oeuvre dense et complexe grâce à la virtuosité de son écriture et par ses multiples ressources. En créant un personnage écrivain de trente quatre ans (presque un double fictionnel) qui rentre dans sa ville natale au chevet de son père mourant, il décrit son odyssée de retrouvailles contrariées avec ses amis ou "ennemis" d'adolescence, sa famille et d'autres personnalités de son entourage de ses dix sept ans d'alors. Ses difficultés sont logiques puisqu'il a publié un roman quasi autobiographique où il a dépeint toutes ces personnes en fonction de ses aspirations;ce qui lui a permis d'obtenir une reconnaissance littéraire. Heureusement, il trouvera du réconfort auprès de son ami Wayne pourtant en fin de vie, son neveu Jared et sa petite amie de l'époque Carly. Voilà pour l'histoire.
Au niveau du contenu, Jonathan Tropper décrit à merveille cet état d'enfant du pays de retour qu'on traite comme un étranger, une mauvaise graine qui aurait du rester à sa place. Dans le même temps, l'écrivain livre un portrait maîtrisé de son personnage principal (avec un découpage de chapitres entre événements en cours et l'année 1986) reconnaissant ses blessures et déchirures intérieures resurgissant sans cesse. Comme si le fer rouge de La Lettre écarlate était encore trop douloureux. La philosophie de Joe Goffmann le fait pourtant traverser les épreuves de son retour avec adversité,lucidité et force. Il profite de chaque moment jusqu'à l'imperceptible basculement de la fin de ce chapitre 34.
Avant d'en parler un peu, juste établir que Jonathan Tropper a rendu le microcosme américain d'une ville de province américaine à merveille. Tous ces personnages qui obéissent à la religion de "l'esprit- localité" plus fort que tout ne sont pas outranciers. La critique grince derrière les quelques figures bien représentatives de la ville de Bush Falls que sont entre autres le coach de basket Dugan, Cindy ex beauté du lycée qui a épousé Brad,frère de l'écrivain ou encore la mère de Wayne, qui se cache sous le strict et la bigoterie pour ne pas sombrer et se sentir exister.
Revenons à cette fameuse fin du chapitre 34 à laquelle se cache un subterfurge littéraire vraiment remarquable. Que Jonathan Tropper l'utilise à merveille est une chose mais qu'il ne l'explique pas jusqu'à la dernière page est plutôt dérangeant. Si vous avez compris ce qu'il en est de Joe Goffman à la fin de ce chapitre 34, vous ne serez pas surpris par la suite et les visions dingues de sa narration où tous les proches qu'il affectionne se retrouvent dans des réflexes de bande comme au bon vieux temps du trio qu'il formait avec Wayne et Sammy Haber. Si vous passez à côté, tout cela paraîtra anormalement habituel. Par contre, Jonathan Tropper livre ,à ce moment crucial de son histoire, au lecteur comme un cadeau qui voudrait dire entre les lignes : si tu as saisi ce qui est arrivé à Joe Goffman,décide de ta propre fin, qu'elle soit triste ou gaie. Cette démarche,bien qu'utilisée maintes fois en littérature, démontre le respect de l'écrivain pour ses lecteurs. A contrario, il démontre aussi son manque de confiance en eux puisqu'il ne leur expliquera pas la vérité au final. Vraiment déroutant car par extension, je me demande si Tropper a valorisé l'impact de son propre travail à l'image d'un Joe Goffman qui n'arrivait pas à se mettre à la suite de son Bush Falls. Le doute de l'écrivain face à la création. Le doute de sa réception est vraiment criante sur les derniers chapitres du livre de Joe comme si on entendait Tropper se dire: "putain,je n'arrive pas à livrer la fin que je veux aux lecteurs.Je vais me rater,faire un flop qui ruinera tout l'édifice que j'ai crée avant le chapitre 34." Rassure toi, Jonathan Tropper, tu restes avec ce livre un grand écrivain américain de ce début de vingt et unième siècle.Juste W-A-O-U-H!