Plongée dans la psyché d'un génie. Voilà l'expérience proposée par ce livre, dans lequel l'auteur, le célèbre psychiatre/mystique Carl Gustav Jung, a littéralement enfermé et décortiqué son âme. Livre qui fut gardé secret pendant des décennies pour être finalement dévoilé au grand public tout récemment. Si ce pitch a de quoi allécher à peu près n'importe quel lecteur psychonaute, il faut savoir que l'aventure comporte aussi une bonne grosse part de difficultés... Pour être clair, le « Livre Rouge » ne fait pas de cadeau.

Avant de continuer, je précise que j'ai lu la version exclusivement composée de texte, un pavé relié de plus de 600 pages, tout de même. La précédente version, quant à elle, proposait un fac-similé en grandeur réelle et donc gigantesque (un truc grand comme une télé et aussi lourd que Gerard Depardieu) du véritable livre manuscrit de Jung, dans lequel le psychiatre a passé des années à calligraphier son texte comme un moine et à l'orner de superbes peintures symboliques. A 300 euros l'édition, vous comprendrez que j'ai préféré attendre quelque chose de plus pratique... Je suis donc tombé sur ce sympathique modèle réduit sans m'y attendre une seconde, chez mon libraire préféré, à un moment de ma vie où je me prenais une fois de plus la tête sur le sens de la vie. Du coup, je n'ai pas hésité...

Surtout que le « Livre Rouge », c'est exactement ça: un homme qui traverse une grave dépression et qui décide de s'en sortir en explorant ses rêves et ses visions pour en faire un tout cohérent. Enfin, cohérent...

Nous suivons l'auteur dans une espèce d'immense conte allégorique, extrêmement complexe mais toujours poétique. C'est sûr, Jung avait tout de même une belle plume. Et c'est heureux, parce que sinon je ne sais pas comment j'aurais fini le livre. Les premières centaines de pages restent plutôt compréhensibles. Tout tourne autour de l'idée que l'Homme et l'Univers sont en prise avec des forces et des principes opposés qu'il faut parvenir à unifier en une expression de la Totalité. Retrouver l'Un dans le Multiple, unifier le masculin et le féminin, la vie et la mort, l'Enfer et le Paradis. Jung se sert majoritairement des symboles de la Chrétienté dont il démontre l'inanité dichotomique et met en scène un parcours initiatique qui vise à l'harmonisation des opposés. Le tout fortement influencé par le monisme hindouiste (de type Vedanta) qui prétend que tout est Brahman (l'Ame de l'Univers). Ca tombe bien, il se trouve que c'est la base de mes propres croyances spirituelles !

Les histoires imaginées par Jung pour mettre en scène tous ces principes sont souvent riches d'inventivité et même parfois carrément drôles ! Les nombreux dialogues sont vifs et originaux, insufflant un rythme certain à ce qui aurait pu n'être qu'une longue divagation molle. Je n'ai pas peur de dire que j'ai beaucoup appris durant la première moitié du livre. Après, ça se gâte.

Jung commence à se lâcher sévère. Il laisse un peu tomber la partie narrative et se concentre de plus en plus sur des dialogues abscons où plusieurs symboles ont le même sens et où plusieurs sens sont alloués à chaque symbole. Bref, c'est le bordel. Et on commence à s'emmerder tout doucement. Car oui, en plus, le rythme s'alourdit pour la simple raison que Jung finit par tourner en rond dans sa réflexion: il aurait du s'arrêter bien plus tôt dans la rédaction de son ouvrage. D'ailleurs, les derniers chapitres ont été publiés indépendamment sous le titre des « Sept Sermons aux Morts » et proposent un résumé assez clair de quelques pages, là où il en a fallu plusieurs centaines dans le « Livre Rouge » pour en arriver à peu près au même point.

Seulement voilà, ce livre n'était pas destiné à la publication. C'est avant tout le témoignage exceptionnel de l'intimité spirituelle d'un grand homme, de l'exposition de ses doutes, de ses souffrances et du trésor d'imagination qu'il déploie pour se sortir peu à peu de ses propres cauchemars. En plus de créer un genre littéraire, cette oeuvre est tout simplement inspirante: elle nous rappelle que c'est à nous de créer la lumière qui nous guidera hors du tunnel de nos dépressions.
Amrit
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le 19 mars 2015

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