Michel Onfray est un auteur qui ne laisse pas indifférent. Philosophe, créateur de l'Université populaire de Caen, franc-tireur, anarchiste libertaire, athée, anti-libéral, hédoniste... Trop touche-à-tout pour les universitaires, trop médiatique pour les anti-système, trop gauchiste pour la droite, trop politiquement incorrect pour la gauche, trop anarchiste pour les étatistes, trop vendu pour les anars, trop anti-chrétien pour les chrétiens et trop "islamophobe" pour les musulmans, c'est un peu le type qu'on invite sur les plateaux-TV pour faire le buzz parce qu'on sait qu'il ne va pas y aller par quatre chemins et que peines-à-jouir, obscurantistes et bien-pensants vont pousser des cris d'Orfraie.


Au-delà de cette image cathodique forcément un peu superficielle, l'homme, et surtout l'auteur, m'intéresse, et si sa Contre-histoire de la philosophie figure en bonne place dans ma liste de lectures à venir, et que son Traité d'athéologie me fait de l'oeil depuis un moment, c'est par un format plus court et "léger" que j'aborde l'œuvre de Michel Onfray : celui de la chronique.


Trente-huit courtes chroniques, donc, de quelques pages à une vingtaine (à l'exception notable de Dialectique de la laïcité, micro-essai de cinquante-sept pages) sur une grande variété de sujets : les philosophes oubliés (Diogène, Démocrite, La Mothe Le Vayer, D'Alembert), religieux ou défroqués devenus pourfendeurs de l'Eglise (P.Alfaric, ou l'incroyable et méconnu Jean Meslier, précurseur des Lumières, curé athée prêchant la journée et rédigeant un long testament intellectuel le soir), charges contre les religions (le christianisme surtout, l'islam un peu), l'athéisme, la laïcité, les amis, les influences intellectuelles (Diogène, Derrida, Proudhon, Mizrahi, les philosophes hédonistes...), l'art ancien (Hans Holbein) ou contemporain (Bettina Rheims, Wim Delvoye, Jan Fabre, Philippe Ramette, Gérard Garouste), la littérature (Alain Jouffroy, René Depestre, Michel Houellebecq), l'architecture, l'anarchisme (Godwin, Proudhon), la société neo-libérale...
Alors tout ça, ça donne quoi ?


L'Onfray "athée" ne me convainc pas, ou plutôt, ce qu'il exprime ici relève il me semble moins de l'athéisme que de l'anti-cléricalisme et de la critique des religions, fables devenues outils du pouvoir et instruments d'asservissement. En tant qu'agnostique areligieux, bien sûr, je me régale, mais peu d'arguments en faveur de l'athéisme d'un point de vue métaphysique. Le format court, il est vrai, ne s'y prête guère.
L'Onfray antilibéral a une grille de lecture que je pense en partie vraie mais, selon moi, par trop simpliste et assez stéréotypée de la gauche anti-libérale : le coeur du mal, c'est le libéralisme, les États-Unis, et l'absence d'alternative à la mercantilisation néo-libérale du monde. Ainsi, par exemple, la vigueur nouvelle des opiums du peuple et les nouvelles guerres de religion sont avant-tout la conséquence de l'absence apparente d'alternatives politiques et de la fin des utopies. C'est sans doute en partie vrai, mais de la part d'un athée militant de la trempe d'Onfray, j'en attendais un peu plus, notamment qu'il développe un peu plus les causes essentialistes et explicite davantage en quoi le vers (obscurantiste, intolérant et hégémoniste) est aussi dans le fruit (religieux), démonstration quelque peu abordées dans le long article sur la laïcité, cependant. Article pessimiste et anxiogène que celui-ci, mais malheureusement lucide concluant sur la fin de la laïcité et de la libre-pensée, et l'obscurantisme dont, peut-être, sera fait notre futur.
L'Onfray libertaire me parle, puisque je le fus. Au passé, car si cette utopie reste mon idéal sociétal, elle ne supporte pas, de mon point de vue, la confrontation au réel et au principe de réalité. L'auteur est peut-être plus optimiste que moi quand à la nature humaine... L'Onfray critique d'art est savoureux à lire, et éveille l'envie de se plonger dans les oeuvres de Bettina Rheims, Wim Delvoye, Gérard Garouste... L'Onfray casseur d'icones et destructeur de mythes est assez exultant. (Tombouctou, cité du savoir à l'époque médiévale ? En fait d'"universités", une agglomération d'écoles coraniques et un enseignement basé sur le par coeur et la récitation, d'où la pensée est exclue. Freud ? Un névrosé misogyne embué dans la pensée magique. Les jardins ouvriers ? Un génial outil contre-révolutionnaire d'asservissement du prolétariat.)
L'Onfray hédoniste, enfin, insuffle un vrai souffle manifeste pour la jouissance du monde, inspiré, et j'oserais même dire, parfois, lyrique !


La lecture du Magnétisme des solstices fut assez exaltante, et bien que je ne partage pas certains des points de vue de Michel Onfray, et malgré un pessimisme (ou sens du réel ?) plombant, la force et la cohérence de sa pensée, la pulsion de vie qui s'exprime à travers ses mots, en rendent la lecture rafraîchissante et jubilatoire.

franckd
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le 28 avr. 2015

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