C'est une écriture qui claque, libre, infiniment libre, c'est ça qu'est beau, cette profonde insolence d'aller au revers de toute convention d'écriture, d'écrire avec ces tripes, et c'est emplit de vivacité, ça vrille, à toute allure, ça ne s'arrête jamais, parfois ça bute sur un mot, ça va trop vite, alors il y a l'écriture, qui s'arrête en plein milieu d'une phrase, d'un mot, de point de suspension qui ne finissent jamais tout à fait leurs phrases, alors elles reprennent, les phrases, comme ça, libres, éternelles, pleines de vie. Des mots, des dialogues, des paroles, et ça touche, ça touche le cœur, ça ne s'arrête pas, si bien qu'on dévore littéralement ce livre en une journée, c'est rare pour moi, pourtant c'est un livre pas bien gros mais je suis lente à lire, à finir un bouquin, peut-être aussi à cause du cinéma qui prend tout mon temps, qui remplace les soirs dédiés plus jeune à la lecture, car avant, quand je n'avais pas encore découvert le cinéma, quand j'étais trop jeune pour m'intéresser à cet art gigantesque, je dévorais, des tonnes de bouquins, des tonnes de romans. Maintenant, je n'arrive plus à trouver le temps de lire. Alors parfois comme ça, je commence un bouquin et je ne m'arrête plus. L'acte spontané de lire. Les retrouvailles de l'enfance, de l'adolescence, où je dévorais des romans de toutes sortes, assoiffée que j'étais, par les mots, tous les mots.
Les mots me frappent toujours, en plein visage, mais je les retrouve dans le cinéma. Et puis je lis des bouquins encore, oui, heureusement, mais seulement moins qu'avant, où j'enchainais systématiquement romans après romans.


Les personnages de ce livre sont comme vous et moi, des êtres humains qui tentent de vivre. Il y a une grande maison. La grand-mère, la mère, les trois filles. Les hommes n'ont pas leur place dans cet univers cloîtré, et pourtant il y a deux hommes, qui passent devant les yeux de la grand-mère du titre, nommée Momm, qu'elle regarde avec méfiance, qu'elle critique dans leur dos, pas toujours très sympathique et un peu énervante, la grand-mère, qui se plein de tout, qui essaie de faire au mieux car elle galère la mémé, pour s'occuper tant bien que mal de toute la maisonnée : sa fille de trente-sept ans, veuve, ces trois petites-filles, Lili, seize ans, les deux jumelles, dix ans.
Alors on essaie tant bien que mal de vivre, avec les rancœurs, les joies, les non-dits dans les tripes. Parfois, surtout à la fin, lorsque la grand-mère explose, finit par dires toutes ses vérités à sa fille en larmes, ça ressemble à du Bergman, et c'est beau, poignant, cette vérité dans l'écriture, cette profonde spontanéité, humanité, justesse de chaque être.
Sommeil une ambiance lourde et chaude qui va parfaitement avec le temps présent (quel bonheur de lire des livres qui correspondent au temps qu'il fait, de sentir la moiteur, la profonde chaleur du soleil à travers de simples mots, lorsqu'on ressent tout pareil), remplie d'une indicible sensualité, ces deux hommes qui tournent autour du nid, dégageant inconsciemment ce quelque chose d'un désir que ne peuvent nommer ni la jeune fille de seize ans, ni sa mère, l'adulte, que l'on nomme Nann. Momm, la grand-mère, épie tout cela très discrètement, troublée, gênée par les minauderies des femmes et de leur relations lointaines, observatrices avec les hommes.
Ce trouble chez cette vieille femme qui vient de son époque à elle, une autre époque, une époque lointaine, alors elle ne comprend rien de rien, à comment fonctionne la vie, comment fonctionne ces quatre humaines dans sa propre maison, sa fille Nann qui flirte en permanence, du moins avec les deux seuls hommes qui tournent autour de la maisonnée, de la jeune fille qui fugue, des deux jumelles aux façons hypocrites, commères, fausses, surjouées.
Ainsi il y a ces riens qui font les vies. Ces regards, ces pensées, ces non-dits, qui donnent à l'être ce qu'il est : des personnages, des individus profondément humains.
Ce livre, ce sont les rapports humains dans toute leur magnificence.
Et ça fonctionne oui, ça fonctionne à merveille, avec cette écriture qui coule de source comme une chose parfaite, d'une beauté infime. Alors il n'y a qu'une chose à faire : découvrir cette merveille auteur. Et continuer notre aventure aux Editions de Minuit qui touchent droit au cœur.

Lunette
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le 15 juil. 2015

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