Une comédie ? Bof. Une tragédie ? Pas vraiment. Un drame ? Pas totalement. Une semi-réussite ? Assurément.

Outre une lenteur particulièrement pesante dans le récit principal, celui d'Antonio et Shylock, seulement aéré par les échecs des prétendants de Portia, le livre souffre définitivement de son ambiguïté sur la question juive. Je ne rentrerai pas dans ce débat vieux comme la pièce, où certains verront une justification à la haine des Juifs, et d'autres une pièce antisémite au possible. À mon sens, Shakespeare, baigné par son époque, fait du Juif moyen cet être un peu rebutant, fin esprit dans ce qui concerne l'argent et la créance mais dont la déroute est décrite comme la victoire des personnages principaux (donc, par extension, comme joie du public). Après, le fait que Shylock soit insulté constamment, maltraité, et vaincu par une parodie de procès peut jouer en sa faveur... Mais je n'y crois guère, et ne retiens de cette pièce qu'une victoire du bon christianisme sur ce Juif de Shylock. Et ça me dérange. Le peu de relief des autres personnages n'aide en rien la pièce à tenir le coup - ce qui, Shylock étant alors le personnage le plus marquant, renforce l’ambiguïté du procédé.

Parallèlement, le célèbre monologue de Shylock est un appel à l'humanité, un cri sourd de désespoir pour vaincre la question des différences entre peuples :

Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes,
des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec
la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?

Mais à nouveau, la dernière ligne ne les honore pas...

Sinon, le dernier acte, quand Portia et sa servante se moquent de leurs époux, est juste très très bon, et s'avère être un dénouement doublement agréable en ce que son humour conclut enfin la longueur inutile de cette pièce décidément décevante.
Cinemaniaque
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 69 sinon rien et Histoire du théâtre pour les nuls (comme moi)

Créée

le 23 déc. 2012

Critique lue 617 fois

2 j'aime

Cinemaniaque

Écrit par

Critique lue 617 fois

2

D'autres avis sur Le Marchand de Venise

Le Marchand de Venise
Cinemaniaque
5

Critique de Le Marchand de Venise par Cinemaniaque

Une comédie ? Bof. Une tragédie ? Pas vraiment. Un drame ? Pas totalement. Une semi-réussite ? Assurément. Outre une lenteur particulièrement pesante dans le récit principal, celui d'Antonio et...

le 23 déc. 2012

2 j'aime

Le Marchand de Venise
Chaaw
7

Critique de Le Marchand de Venise par Chaaw

J'ai bien aimé, mais c'est pas la meilleure pièce de Shakespeare. Peut-être pour ça qu'elle est pas très connue. D'abord, je comprends pas trop le but de cette pièce. Et puis le gros cliché de...

le 8 févr. 2011

2 j'aime

Le Marchand de Venise
Gwen21
10

Critique de Le Marchand de Venise par Gwen21

Je connaissais le "pitch" du "Marchand de Venise" sans jamais avoir lu la pièce, ni vu jouer. A présent, je suis impatiente que les théâtres rouvrent y la programme pour que je m'y précipite. Sur un...

le 26 janv. 2021

1 j'aime

Du même critique

Frankenweenie
Cinemaniaque
8

Critique de Frankenweenie par Cinemaniaque

Je l'avoue volontiers, depuis 2005, je n'ai pas été le dernier à uriner sur le cadavre de plus en plus pourrissant du défunt génie de Tim Burton. Il faut dire qu'avec ses derniers films (surtout...

le 21 oct. 2012

53 j'aime

2

Hiroshima mon amour
Cinemaniaque
4

Critique de Hiroshima mon amour par Cinemaniaque

Difficile d'être juste avec ce film : il faudrait pour pouvoir l'apprécier être dans le contexte socio-culturel de sa sortie, ce qui est impossible à reproduire aujourd'hui. Je distingue relativement...

le 4 juin 2011

52 j'aime

1

American Idiot
Cinemaniaque
7

Critique de American Idiot par Cinemaniaque

Il est amusant de voir comment, aujourd'hui, cet album est renié par toute une génération (et pas seulement sur SC)... À qui la faute ? À un refus de la génération née début 90 de revendiquer les...

le 14 janv. 2012

50 j'aime

3