"Il faut imaginer Sisyphe heureux."
Si je devais faire une liste des livres déprimants, celui-ci aurait une fort belle place.
Enfin, il faut s'attendre à ce qu'un livre qui débute par la question du suicide ne soit pas particulièrement joyeux.
Camus y fait une description de l'absurde et pose d'emblée la question de la conséquence, pour un sujet conscient, de sa découverte de l'absurde. Peut-on continuer à vivre en sachant que le monde n'a pas de sens, qu'il ne faut rien attendre du lendemain, que la vie humaine n'est que la succession de gestes habituels au point de devenir automatiques, qu'il n'y a pas de vérité absolue mais que des vérités humaines, etc ? Le suicide n'est-il pas la seule véritable conséquence logique de tout cela ?
Le livre est divisé en trois parties. D'abord, Camus fait une description de l'absurde ; puis il présente quelques personnages illustrant l'absurde (Dom Juan par exemple). Enfin, il parle de la création artistique absurde.
Et le livre se termine avec quelques pages d'une grande beauté, un mini-chapitre conclusif sur Sisyphe lui-même. Ce sont, de très loin, les plus belles pages de l'essai.
L'écriture de Camus est très belle. Superbe même. Mais elle m'a posé quelques problèmes au fil de la lecture. Par ses ellipses, par ses métaphores, par ses références non explicitées (donc par mon manque de culture, je ne le cache pas), Camus m'a perdu trois ou quatre fois. Plusieurs fois, je me suis demandé si je lisais Camus philosophe ou Camus écrivain. Esthétiquement, c'est irréprochable. Mais pour la clarté de la réflexion, ça ne m'a pas paru idéal.
En plus d'être écrivain, Camus se fait aussi critique littéraire. Ainsi, dans la première partie, il passe en revue les thèses de différents philosophes qui ont décrit l'absurde. Chestov ou Kierkegaard sont passés en revue, pour être repoussés sans ménagement. Camus leur reproche leur manque de courage. Ils ont voulu échapper aux conséquences de l'absurde en faisant intervenir un Dieu que Camus rejette irrémédiablement. Pris de peur devant l'absurde, ils ont cherché des échappatoires.
Car l'homme absurde de Camus est un brin masochiste : il rejette toute solution possible, il refuse tout ce qui pourrait alléger sa peine; il veut vivre constamment au contact de sa souffrance.
On pourrait passer un long moment à analyser ce texte, parmi les œuvres philosophiques les plus célèbres du XXème siècle. Je ne cache pas personnellement une certaine déception face à un texte un peu fouillis et qui manque de clarté. Au lieu de rejeter les contre-exemples, il aurait peut-être mieux fait d'expliciter ce qu'il voulait démontrer.