Jacques-a-dit : Le grand maître

Jacques Rougeron est un bambin de 12 ans. Lyonnais de son état qui se balade toujours dans les mêmes rues géométriques, Jacques veut dire. Il veut être en capacité de dire les noms de rue. Parce que Jacques n'a pas dit. Jacques veut dire. Jacques est bègue. Pour soigner ce mal, il tente tant bien que mal de partir à la recherche de l'herbe médicinale qui lui fera pousser les mots sur la langue et non pas dessous telles des mauvaises herbes qui rongeraient les racines. Pour cela, Jacques viendra à manger jusqu'à se rendre malade de la boue qui salie, de la boue qui embourbe, de la boue qui fait bouillonner. Pour son premier roman Sorj Chalandon, éminent reporter de guerre (Prix Albert Londres) et amour de douceur, publie à l'âge de 53 ans. Heureusement, depuis cette arrivée tardive dans le paysage littéraire, Sorj Chalandon n'a pas chômé depuis. Peut-être attendait-il d'avoir tué véritablement ce petit Bonzi ? Cet être ombrageux et double de Jacques Rougeron. Parce que se dissimule dans ce petit Bonzi et/ou dans ce petit Jacques une part infiniment autobiographique de Sorj qui n'écrit que sur ce qu'il a vécu. Le bégaiement. Sorj a connu, pendant longtemps. Difficile à croire aujourd'hui tant l'écouter est un délice. Le lire en est aussi devenu un. Une écriture imagée, des phrases courtes coupées à l'os sans sentimentalisme. Déjà la présence d'un père violent, déjà l'importance des mots inscrits dans le bois, déjà la difficulté de faire simple surmontée, déjà des intrigues secondaires vivantes, déjà un personnage attachant. C'est là que tout a commencé pour Sorj. En luttant face à ses peurs, en reléguant le petit Bonzi, en s'élevant grâce à un professeur, en déliant ses mots. En racontant son passé. En racontant qui il est aujourd'hui.