Le Procès
7.8
Le Procès

livre de Franz Kafka (1925)

Ne faisant pas partie de ceux pour qui Le Procès fut imposé durant le cursus scolaire, je décidais bien après mes études de me plonger dans l'oeuvre de Kafka, dont je ne connaissais que sa réputation d'écrivain "étrange" et l'adjectif auquel il prêta son nom.
Je commençai modestement par La Métamorphose et me heurtai effectivement à un univers tout à fait singulier, en marge de tout ce que j'avais pu lire, voir et entendre auparavant. Intrigué mais pas tout à fait convaincu, j'enchaînais plus tard sur le plus célèbre roman de l'écrivain, Le Procès, paru en 1925 à titre posthume.


Joseph K, jeune cadre dans une banque, est au matin de ses trente ans, interpellé chez lui par des agents de police. Ceux-ci se contentent de l'informer qu'il est en état d'arrestation mais libre d'aller où bon lui semble tant qu'il reste en ville. De quoi l'accuse-t-on précisément ne manquera évidemment pas de demander K, ce à quoi les agents ne répondront pas, les fonctionnaires de police se bornant à rester dans le vague. Ce qui est sûr, c'est que K aura droit à un procès et qu'il lui est recommandé de préparer sa défense. Mais comment pourrait-il se défendre sans savoir de quoi on l'accuse ? K va donc, en attendant l'audience, continuer sa vie habituelle non sans chercher à se sortir de ce pétrin juridique.


Franz Kafka est bel et bien un auteur à part dans le paysage littéraire tant son oeuvre est invariablement associé à une vision de l'absurde ayant influencé bon nombre d'auteurs ultérieurs (littéraire et cinématographique, Braaaziiiil....).
Malgré un sens de l'humour évident (les situations prêtent parfois à sourire là où elles sont carrément hilarantes dans Le Château), les intrigues de Kafka n'ont généralement rien d'optimistes. L'individu y apparaît toujours comme opprimé par une bureaucratie aux ramifications insensées, un système cauchemardesque, impossible à comprendre pour le lecteur qui semble alors partager avec les protagonistes-victimes la même ignorance quand au fonctionnement de cette administration aliénante.


A travers Le Procès, Kafka s'attache avant tout à dénoncer l'absurdité de la condition de l'homme moderne se débattant dans une administration dont il s'aperçoit, en même temps que le lecteur, qu'il ne comprend rien des rouages.
Joseph K, son anti-héros, y est décrit comme une victime plus ou moins passive, croulant sous le poids d'une culpabilité inhérente à sa condition d'être humain et découvrant peu à peu qu'il n'a plus le contrôle sur sa destinée (et ne l'a peut-être jamais eu). Tout comme Gregor Samsa dans La Métamorphose (dont Joseph K partage la culpabilité) ou l'autre K, celui du Château, Joseph K. subit une situation grotesque et paradoxalement admise par son entourage.
Car à mon sens, l'un des nombreux propos du Procès est là. Le protagoniste ignore tout du monde dans lequel il vit et se débat. Tout le monde autour de Joseph K semble en savoir plus que lui, tout son entourage semble savoir de quoi on l'accuse que ce soit ses voisins de balcons portant sur lui des regards inquisiteurs, son vieil oncle irascible, cet avocat alité, ce juge d'instruction habitant un grenier ou même encore cet artiste peintre. Chacune de leurs réponses toutes aussi nébuleuses les unes que les autres quand aux interrogations du protagoniste ne font finalement qu'exacerber son incompréhension et son angoisse.


Joseph K. c'est un peu le quidam auquel n'importe quel lecteur s'identifiera aisément. Un parfait anonyme pointé subitement du doigt par une administration toute puissante qui met en cause, qui exige, qui condamne. L'accusé aura toujours beau se démener, chercher une quelconque échappatoire, sitôt que la Loi toute-puissante et arbitraire le condamne, son destin ne lui appartient déjà plus.
Toute l'absurdité du récit réside évidemment dans ce processus judiciaire absurde et incohérent ainsi que dans la majorité des lieux traversés et des personnages rencontrés. Mais elle réside aussi dans l'attitude absurde qu'adopte parfois le protagoniste en réponse au système qui l'accuse, dans sa volonté de défier la justice sans savoir ce qu'elle est réellement. Et ce n'est pas ce livre de Loi contenant une succession de dessins pornographiques qui lui en apprendra plus.
Ainsi, la volonté première de Kafka est moins de s'épancher sur l'absurdité de cette Loi et de l'administration qui l'applique, que de s'attacher aux réactions de son protagoniste, à ses tourments, ses déambulations et ses tentatives de recours. Face à une accusation sans réel fondement, K ne peut qu'échouer à prouver son innocence. Mais là encore, innocent de quoi ?


Pourtant l'auteur, malgré le caractère irrévocable de ce Procès absurde s'emploie tout le long du roman à donner l'initiative à son héros, nous faisant croire un temps que celui-ci reste encore maître de sa destinée.
Mais le fait est que le protagoniste par la multitude de recours contradictoires qui s'offre à lui pour échapper au jugement, finit en fin de compte par s'apercevoir de la vanité de son combat et à se laisser porter par les décisions des autres (voir à ce propos ce premier rendez-vous avec son avocat malade, où la discussion est monopolisée par l'homme de loi et l'oncle de K, K lui-même pourtant présent semble exclu de la conversation et en vient à s'isoler avec Leni, la jeune aide-soignante de l'avocat).
Ainsi, au fil des rencontres improbables et des lieux immenses traversés, K semble peu à peu renoncer et se laisser porter par les événements, jusqu'à se résigner au seul et unique choix qu'il lui reste.


Des instances abstraites, invisibles, sur la base d'une Loi opaque, ont fait de lui un homme en sursis.
Tour à tour égaré, désemparé puis résigné, K incarne l'individu finalement seul, livré à lui-même et aux conséquences de ses actes (de ses nombreuses liaisons faciles?), broyé par un système global qu'il ne peut ni combattre ni comprendre.
Aussi, les lieux traversés tout au long de l'histoire, tout à tour grotesques, oppressants et sinistres ne font que refléter l'évolution de l'état mental du héros. Dès lors que la procédure se met en branle, Joseph K n'en finit plus d'errer de couloirs interminables en bureaux sordides, jusqu'à finalement échouer seul dans une immense cathédrale qui lui semble un instant toute entière consacrée avant qu'un prêtre ne l'interpelle du haut de sa chaire pour lui conter la fameuse Parabole de la Loi.
Peu à peu, le Procès que fait l'administration à Joseph K devient son propre procès moral, culminant dans cette rencontre avec le prêtre. K lui-même finit par adopter le point de vue général en doutant de son innocence. L'individu qu'il est ne met alors plus en cause un système juridique implacable.
Vaincu par la ville, par la Loi, par le monde entier qu'il crut un temps pouvoir combattre, l'innocent accepte sa culpabilité. Et de la sorte, Kafka semble nous dire que sitôt que le système, que la Loi, que la vision commune accuse, tout innocent quel qu'il soit finit tôt ou tard par devenir coupable.


A travers Le Procès, Kafka s'est donc attaché à dresser le portrait d'un homme dont le droit d'exister se voit contredit par un système tout aussi incohérent qu'il est tout-puissant et invincible. Lequel lui soustrait peu à peu le moindre recours, le moindre choix. Pour qui se prend une quelconque contravention de nos jours et compte la contester, il s'engagera sur la même voie inextricable que Joseph K.
Au final, c'est surtout l'absurdité de l'existence et son caractère irrévocable que Kafka se sera employé à dénoncer dans Le Procès et tout du long de son oeuvre.


J'ai trouvé qu'il y avait quelque-chose de la doctrine existentialiste dans l'oeuvre de Kafka, tant son protagoniste espère toujours trouver une solution définitive dans les réponses de ses interlocuteurs (l'avocat, l'artiste peintre). Un peu comme si face à l'impossibilité de faire un choix personnel, on se remettait aveuglément à celui des autres. Sartre (pour le côté existentiel) et Camus (pour l'absurdité de la situation) ne sont pas loin, bien qu'ils ne se manifesteront que bien après le décès de Kafka. A mon sens, certaines de leurs thématiques font échos à celles de l'écrivain pragois. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Camus lui a consacré une étude à la fin de son essai Le Mythe de Sisyphe que je recommande d'ailleurs à quiconque lira ces lignes.


Devant la pertinence et le génie des textes de Kafka (et selon la légende), son meilleur ami Max Brod ne respecta pas les dernières volontés de l'auteur, lesquelles étaient de détruire tous ses manuscrits après sa mort. Brod, pourtant exécuteur testamentaire, prit sur lui d'aller à l'encontre du testament de Kafka et de diffuser l'oeuvre de son ami (du moins ce que Kafka n'avait pas brûlé de son vivant) en réorganisant notamment les chapitres du Procès et en assurant à Kafka la reconnaissance posthume de son immense talent. Tout en offrant au monde, l'oeuvre d'un authentique génie littéraire.

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le 12 juin 2014

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Buddy_Noone

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