J'ai appréhendé pour la première fois les travaux de Georges Vigarello par le biais de conférences en ligne, comme ce fut également le cas pour Michel Pastoureau. Enthousiasmée par ses interventions, j'avais donc l'intention depuis un moment de lire un de ses essais. Le propre et le sale, un des ses ouvrages emblématiques et devenu un classique depuis sa parution en 1987, paraissait tout indiqué pour commencer, d'autant qu'une édition augmentée de nombreux documents iconographiques a été publiée assez récemment, en 2013.


Ici, Georges Vigarello nous confronte avec, non seulement, l'évolution des pratiques d'hygiène corporelles du Moyen-âge à la fin du XIXème siècle, mais aussi avec l'évolution des représentations de la propreté, et donc de ses critères. Et le message passe clairement : la propreté, c'est avant tout une question d'imaginaire, y compris lorsqu'on pratique une approche scientifique du sujet et que l'on découvre, comme au XIXème siècle, microbes, bactéries et autres monstruosités invisibles.


Le style a parfois été qualifié de pompeux ; je ne suis pas franchement d'accord. On a là un ouvrage érudit, écrit par un historien qui s'exprime particulièrement bien, et c'est tant mieux, car ce n'est pas toujours le cas. Et on ne peut pas non plus reprocher à l'auteur de multiplier les références aux sources, essentielles. Certes, il n'est pas toujours très alléchant de lire à la suite plusieurs comptes-rendus d'inventaire post-mortem, avec le nombre de chemises que possédait le défunt. Mais on imagine mal Vigarello écrire : "Il existe des sources qui attestent de ceci ou cela, mais je n'entrerai pas dans le détail et je ne les citerai donc pas, pour ne pas ennuyer mon lectorat." Bien entendu, c'est pour cette méthode qu'opterait un... voyons, qui pourrais-je nommer ? Un Michel Onfray, disais-je, qui, lui, ne s'encombre pas de scrupules pourvu qu'il parvienne à séduire un très large public. Mais ce serait légèrement contraire à la démarche d'historien de Georges Vigarello (ah ben oui, c'est facile de taper sur Onfray, je sais bien)...


En revanche, le rythme est franchement lent. On comprend bien que Vigarello ait à cœur de bien faire comprendre ce qui différencie fondamentalement les représentations du propre et du sale à travers les siècles, mais il en devient répétitif. C'est le côté un peu pénible de son essai. C'est cependant compensé par un travail assez remarquable sur un sujet passionnant et qui m'a pourtant, je l'avoue, légèrement laissée sur ma faim. J'aurais aimé savoir comment on était passé d'une société romaine où la fréquentation des bains publics est normale, à une société médiévale où l'usage de l'eau est proscrit pour la pratique hygiénique corporelle. Il me semble que les épidémies de pestes et la réputation sulfureuse des étuves n’expliquent pas tout. D'ailleurs, c'est quelque chose de récurrent : si l'on suit très bien l'évolution des pratiques et des représentations de la propreté dans la société, on comprend parfois difficilement comment les glissements se sont opérés, car notre Georges Vigarello ne l'explique pas toujours.


Pour finir, j'ajouterai qu'un glossaire recensant des mots ou expressions comme "humeurs" ou "lois somptuaires" n'aurait pas été inutile. C'est un détail, mais qui pourrait faciliter la lecture de cet essai dont, je le répète, le sujet est passionnant et pour lequel un travail extrêmement intelligent et minutieux a été effectué.

Cthulie-la-Mignonne
8

Créée

le 16 sept. 2015

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