Il est toujours délicat de noter une saga de Robin Hobb, et il s'agit bien du genre d'oeuvre pour laquelle je me passerais d'un nombre qui signifie si peu. Morcelée en d'innombrables tomes dans ses traduction française, immenses pavés dans sa version originale, narrant des vies entières, des voyages de par le monde comme au cœur de l'âme humaine, myriades de moments calmes, d'introspection où la violence sociale des hommes rattrape ses protagonistes.
Avec la cité des anciens, elle écrit ce qui constitue véritablement une conclusion à tout une ère dans le monde qu'elle s'est efforcée de décrire. Point de passage obligatoire après les deux cycles de l'assassin royal, beaucoup plus important que le troisième cycle ne le sera - ce dernier se présentant davantage comme un adieu à son héros. Ecrit avec minutie depuis son premier opus, la cité des anciens, tétralogie envoûtante qui a su muer de voyage d'initiation en bateau - grand thème littéraire - en genèse d'une nouvelle civilisation, renaissance d'un peuple mythologique dont Hobb nous décrit les vestiges depuis 1995. De nouvelles normes sociales se fabriquent pour ces pèlerins de Kelsingra, avec leurs solutions au problème de l'ancien monde, et les difficultés qu'elles engendrent.
Dans cette conclusion, l'horreur côtoie la fascination, la fierté du trajet parcourut et des hommes et femmes qui ont su grandir, s'aimer, se rapprocher mais aussi s'endurcir. Hest l'ignoble, le monstre de perversité est défié par ses anciennes proies. Seldric assume ses erreurs passés... "Pardonné" lui murmure son dragon, tout comme la femme qu'il avait trahi il y a maintenant une vie de cela. Personnage développé tout du long, de secondaire à principal, de tueurs de dragons à serviteur, d'ami indigne à fier compagnon, avec une homosexualité autrefois honteuse et désormais épanouie dans le nouvel ordre de Kelsingra. De son côté, Kanaï s'est perdu, ou trouvé qui sait. Mais il a disparu, noyé dans les pierres de mémoires, devenant son meilleur lui selon ses dires, un autre pour ses anciens amis. De joyeux, tendre et naïf, le voilà dur, violent, sûr de lui. Tabou reste droit moralement, ami d'un homme qui change au jour le jour, soupirant d'une femme qui refuse pour l'instant les amants. Il se sait désormais Ancien, et avec les années, le temps viendra à ce qui doit arriver de s'accomplir.
Après la traque, la longue agonie, puis le rétablissement miraculeux de Tintaglia, première reine des dragons du nouveau monde, Hobb se lance dans ce qui constitue sa version de la dernière marche des ents - une première envolée où la nature défie l'homme et punit ses crimes. Épique, bouleversant, cruel dans les massacres qu'il implique, le vol de dragon s'en va porter la guerre et la mort en Chalcède. Le rugissement tonitruant d'un monde où l'homme n'est plus roi, aussi puissant et immortel qu'il se pensait, à l'image d'un duc qui jusqu'au bout aura cru vaincre la mort elle-même.
Les dragons eux-mêmes ont changé, différent de leurs ancêtres, comme le constate amèrement un Glasfeu, dernier rejeton du temps d'antan. Doyen, gardien de tant de savoirs, mais aussi impropre à mener ceux qui demain écriront les nouvelles règles du ciel. Et demain commence aujourd'hui...