Où l'on relève le niveau. Où l'on fait carrément dans le prestige, même. Et le couillu classieux : pensez donc, un Goncourt refusé ! Mais où l'on ne s'éloigne pas tant que ça de mes préoccupations habituelles, finalement. Car, à tout prendre, il n'y aurait rien de bien saugrenu à qualifier Le Rivage des Syrtes, au-delà de roman surréaliste, au moins de « transfiction » (voyez M. Berthelot), voire de fantasy (sans magie) ou d'uchronie.

Le cadre est en effet bien celui d'un monde secondaire, mais finalement guère différent du nôtre : une Méditerranée fantasmée, difficile à situer dans le temps, quelque part entre le baroque du Grand Siècle – on évoque Louis XIV – et la vapeur de la Révolution industrielle. Dans cette Méditerranée « autre », deux puissances nous (pré)occupent : Orsenna, d'une part, incarnation d'une vieille Italie aristocratique et décadente, et le Farghestan, archétypal de l'Orient et de ses mystères.

Orsenna et le Farghestan sont censément en guerre depuis près de 300 ans, notamment pour la possession des Syrtes, une terre semi-désertique d'une valeur pour le moins douteuse ; mais, à la vérité, cela fait bien longtemps que le conflit a sombré dans l'oubli, et, si aucun traité de paix, ni même cessez-le-feu, n'a été signé, on n'a pas versé le sang depuis des années...

Le narrateur, Aldo, est un jeune aristocrate d'Orsenna, issu d'une très vieille famille. En tant que tel, il s'ennuie. Aussi accepte-t-il avec joie un poste en apparence pourtant fort ennuyeux lui aussi : celui d'Observateur de l'Amirauté des Syrtes, chargé d'établir des rapports au Conseil de Surveillance sur ce qui s'y passe. Il y fait la rencontre du capitaine Marino et d'un certain nombre de plus jeunes comparses, dont le bouillant Fabrizio, et se met au travail, dans l'atmosphère léthargique des Syrtes. Là-bas, il n'y a pas grand-chose à faire... à part attendre.

On attend, donc. Mais Aldo, comme beaucoup de jeunes exaltés, croit détecter l'activité du Farghestan au moindre signe. Et, dans la ville voisine de Maremma, devenue étrangement une destination de choix pour la noblesse d'Orsenna – la belle Vanessa en tête –, on parle beaucoup, on dit que les choses ont changé au Farghestan... Et à la crainte et à la curiosité se mêle bientôt la tentation de la provocation...

On le voit : Le Rivage des Syrtes a bien sa place dans les littératures de l'imaginaire, n'en déplaise aux culs-serrés. Mais peu importent après tout ces questions de classification. Ce qui frappe avant tout, à la lecture de ce grand roman de Julien Gracq, c'est bien évidemment...

QUE BORDEL DE MERDE DE PUTAINS DE BOUQUINS NON MASSICOTÉS ZOB À LA FIN ON EST AU XXIe SIÈCLE QUOI MERDE !

...

Aheum...

Pardon.

Je disais donc : ce qui frappe avant tout, à la lecture de ce grand roman de Julien Gracq, c'est bien évidemment le style ; la plume de l'auteur est de toute beauté de la première à la dernière ligne, multipliant descriptions enchanteresses (dans un registre pourtant vaguement morbide), paysages intérieurs d'une grande richesse et dialogues subtils et baroques (un peu trop, peut-être, d'ailleurs ; mais bon : qui suis-je pour juger Gracq ?). Un régal, parfois ardu – non, ce n'est pas exactement de la littérature de métro... –, mais toujours d'une justesse rare. Certains passages – trop nombreux ou trop « révélateurs » pour être cités ici – sont tout simplement à tomber par terre.

Les personnages ne sont pas en reste, et en premier lieu Aldo et Marino, qui forment un joli duo, puis, en définitive, le superbe Danielo (je suis plus réservé en ce qui concerne la manipulatrice Vanessa, dont les apparitions mélodramatiques ont eu parfois tendance à m'ennuyer quelque peu...). Autant de figures complexes et complémentaires, chacune dotée d'une personnalité propre et de tics bien particuliers, de façons d'être qui ne les rendent que plus authentiques, plus humaines.

L'histoire, enfin, sous ses aspects en apparence léthargiques, dans un premier temps tout du moins (ressemblance avec Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, autre « roman de l'attente » ? Faut que je le lise, celui-là aussi, ça fait un bail que je me le dis...), se révèle en fin de compte passionnante et pertinente ; et sous le roman psychologique teinté de mélodrame, se dissimule en définitive aussi un grand roman politique.

Auréolé de tous ces atouts, on comprend l'enthousiasme général pour cette merveille qu'est Le Rivage des Syrtes. Je ne fais pas exception, et vous encourage fortement à lire ce roman hors-normes. Quant à moi, je vais probablement poursuivre ma découverte des œuvres de Julien Gracq ; le prochain titre sera sans doute Au château d'Argol...
Nébal
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le 30 sept. 2010

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Nébal

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