Dans cette nouvelle, Mauriac nous narre le récit de Guillaume (dit le 'Sagouin'), rejeton d'un mariage bancal entre le baron Galéas de Cernès et Paule Meulière. Désillusionnée par un mariage qui devait combler sa quête de noblesse et s'est transformé en fiasco, Paule est une mère malaimante. Pire, elle ne semble éprouver pour celui qu'elle nomme le Sagouin que du dégoût, égalé seulement par la haine qu'elle témoigne à sa belle-mère, la baronne de Cernès, à la tête d'une famille qui ne garde d'aristocratique que l'illusion d'une supériorité passée. De ce tableau familial, le Sagouin constitue l'arrière-plan : victime des guerres latentes qui imprègnent le chateau, négligé par tous, cet attardé n'est considéré que de Fraulein, domestique des Cernès.
Cependant, le destin tragique de Guillaume semble suspendu lorsqu'il fait la rencontre de Robert Bordas, l'instituteur du village, qui accepte de l'instruire. Guillaume y découvre l'univers fascinant des livres, mais aussi Jean-Pierre, le fils de Bordas. Brillant et apprécié de tous, il incarne l'antithèse de notre Sagouin, qui pour cela l'admire. Guillaume semble alors pouvoir s'arracher à sa destinée. Cette rencontre salvatrice s'avère pourtant éphémère : professeur 'rouge', Bordas sacrifie cet 'enfant du château' sur l'autel de la lutte des classes. Abandonné à nouveau, le Sagouin ne trouvera d'échappatoire que dans la mort, dans laquelle il entraîne son père. C'est sur cette scène tragique de suicide que nous laisse Mauriac, témoignant à nouveau de son génie pour le sombre.
Cette nouvelle est indéniablement une prouesse littéraire. Mauriac parvient au travers de sa plume incisive à nous faire ressentir la tension et la noirceur dans lesquelles évoluent ses personnages. En une centaine de pages, il réussit surtout à dépeindre admirablement la complexité des rapports et des sentiments intra-familliaux, tout en interrogeant les bouleversements de ce début de 20e siècle. En témoigne la rivalité omniprésente entre Paule et la baronne, qui interroge au coeur de la cellule familiale les rapports de classe entre bourgeoisie et aristocratie, dans une période qui voit la noblesse perdre peu à peu ses privilèges. C'est ainsi bien là que me semble résider tout le talent de Mauriac, dans cette capacité à se placer à l'intersection de la Famille et de la Société.