Le Sceptre Noir
6.9
Le Sceptre Noir

livre de Keith Martin (1990)

Dans ma chronologie personnelle des Défis Fantastiques, ce tome 40 marque le début d'une troisième ère. Après l'âge d'or des débuts, dominé par les fondateurs Jackson et Livingstone (du 1 au 24) et l'âge d'argent, où de nouveaux auteurs prennent progressivement le relais (du 25 au 39), voici le début d'un âge de bronze dont la principale caractéristique me semble être l'importance accrue de l'élément narratif. Désormais, les histoires seront plus développées, plus cohérentes, souvent un peu plus sombres aussi. Ce n'est qu'une tendance générale, évidemment : il y a eu des livres sombres et cohérents avant ce point, il y aura des livres légers et fantasques après. N'empêche, la série commence vraiment à mûrir ici – c'est encore plus frappant en VO où le tome 40 est la Vengeance des Démons, le tome 41 français. Hélas, cet âge de bronze voit aussi les ventes de la série décliner inexorablement, une chute brièvement interrompu par le buzz du tome 50 qui repoussera de quelques années une fin devenue inexorable. Mais nous n'en sommes pas encore là.


Pour en venir à ce qui nous intéresse, le Sceptre Noir de Keith Martin, on pourra s'étonner que je le classe dans cet âge de bronze au vu de sa quatrième de couverture qui laisse augurer une aventure remarquable de banalité : méchant sorcier, MacGuffin surpuissant (un Anneau unique qui aurait décidé d'être plutôt un substitut phallique), conquérir le monde, vous seul pouvez l'arrêter, bla bla bla. Du vu, revu, rerevu et même rererevu à ce stade. Oui, mais c'est Keith Martin qui est aux commandes, et si le Vampire du Château Noir nous a appris quelque chose, c'est qu'il a le chic pour prendre des idées éculées et en faire des aventures solides et agréables.


Et celle-ci commence sur les chapeaux de roue. Sous prétexte de discrétion, le héros doit traverser l'océan comme galérien sur un rafiot minable. Coups de fouet et privations alimentaires sont au rendez-vous ! Ça n'est pas forcément très crédible en termes narratifs, mais il est difficile de ne pas se sentir investi en voyant fondre les points d'Endurance comme neige au soleil. Après cette ordalie, il s'agit d'explorer la ville d'Ashkyos. Objectif : gagner de l'argent pour se constituer un équipement digne de ce nom. Toutes sortes d'opportunités s'offrent au héros, plus ou moins légales, plus ou moins lucratives, mais toujours distrayantes, en particulier si vous êtes en compagnie de Gallotti, la mangouste qui parle. Avec son système de quartiers, l'exploration se fait de manière tout à fait fluide, et les conséquences de vos actions sont finement prises en compte grâce au système de points de Réputation : un héros trop peu discret se verra gentiment mais fermement indiquer la direction des portes de la ville.


Après cette réjouissante exploration urbaine, l'aventure perd un peu de son charme. À mesure que l'on s'approche de la tanière du grand méchant, les créatures protéiformes du Chaos se font de plus en plus nombreuses, mais la linéarité et la difficulté sont elles aussi au rendez-vous. Martin tente de raviver un peu la flamme dans la cité en ruines où se cache le grand méchant, qui est organisée par quartiers comme Ashkyos, mais la sauce ne prend pas vraiment. Heureusement, l'affrontement final relève le niveau, le héros ayant à sa disposition de nombreux choix pour affaiblir le grand méchant avant de sortir les dés.


L'un dans l'autre, une chouette petite aventure. Sa construction n'est pas irréprochable (il est possible de prendre un chemin qui rend l'ultime rencontre du livre incompréhensible), et le niveau de fun diminue un peu trop dans la section centrale, mais ce ne sont pas des défauts dramatiques. Ce qui est dramatique, en revanche, c'est la traduction. On la doit à Camille Fabien, qui a également travaillé sur les premiers Loup Solitaire, et comme plusieurs de ses prédécesseurs, elle fait beaucoup pour donner vie au livre : Gallotti la mangouste qui parle reçoit des répliques beaucoup plus fines et amusantes que celles que Keith Martin avait placé dans sa bouche. Jusqu'ici, tout va bien… sauf que, allez savoir ce qui lui est passé par la tête, Camille Fabien a décidé de modifier les noms propres pour y foutre un maximum de jeux de mots débiles. C'est ainsi que le lecteur français se retrouve à affronter le sorcier Shanfeu-Hankhor dans la ville de Klakduhr, sur le continent de Koulgrah, après avoir rencontré des personnages comme Tutu Peyumpo, Kanyan-Happu ou Baal-Demattsh, fils de Baal-Desetth. Camille (je peux t'appeler Camille ?), si jamais tu lis ces lignes, je t'en supplie, explique-moi. C'était un pari avec un pote ? Tu voulais mettre à l'épreuve les relecteurs de Gallimard ? T'étais rond comme une queue de pelle ? Je veux savoir.

Créée

le 8 nov. 2017

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Tídwald

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