Au cours de la première guerre mondiale, le narrateur, médecin, exerce dans un établissement psychiatrique. C’est là qu’est hospitalisé un caporal, désigné par les initiales A.H. Atteint de cécité hystérique, ce soldat se distingue par ses discours contre les juifs mais aussi par son pouvoir à retenir l’attention et à galvaniser les hommes autour de lui. Tout à son art, et sans doute un peu poussé par l’orgueil et ce sentiment de pouvoir qu’il éprouve face à son patient, le médecin se consacre à redonner la vue à cet A.H. Celui qui deviendra quelques années plus tard le Führer du troisième Reich, Adolf Hitler.


Mais avant d’en venir à sa rencontre avec Hitler, le narrateur revient sur sa propre histoire notamment sur les relations un peu compliquées qu’il entretient avec ses parents et sur ce qui l’a conduit à vouloir se consacrer à la médecine. Une vocation lourde de conséquence et qui l’amène donc, en 1918, face à un homme pour lequel il va éprouver des sentiments ambivalents et qui vont évoluer au fil du temps.


Car le récit ne se termine pas alors que le narrateur a réussi à rendre la vue à son patient. Il se poursuit avec l’inexorable ascension d’Hitler et l’auteur analyse alors avec beaucoup de justesse les raisons de cette ascension, les leviers que Hitler a su utiliser pour réunir derrière lui un pays et mettre en place la plus terrible des politiques. Le narrateur en paiera d’ailleurs aussi le prix, puisqu’il se retrouvera déporté, séparé de sa femme, et soumis à la violence car il possède un dossier médical sur Hitler assez compromettant.


C’est à la fois passionnant et glaçant. A travers la trajectoire de ce médecin et ses interrogations, Ernst Weiss dresse le portrait d’un pays et d’une société fascinés par un homme. Il en explique les raisons, qui ont pu déjà être analysées par ailleurs, mais avec cette particularité qu’il écrit en 1939 et que toute l’horreur voulue par Hitler n’est pas encore totalement en marche. Mais Ernest Weiss a capté la quintessence du personnage, ce qui le rend unique aux yeux des foules et adopte ici un regard quasi visionnaire. Un regard qui l’amènera d’ailleurs à se suicider en 1940.


Et si le narrateur semble plus spectateur (le témoin oculaire du titre) qu’acteur, on saluera son initiative finale qui le place au cœur de l’action. Un récit passionnant.


Christlbouquine
8
Écrit par

Créée

le 20 juin 2023

Critique lue 9 fois

Christlbouquine

Écrit par

Critique lue 9 fois

Du même critique

L'Étrange Traversée du Saardam
Christlbouquine
6

Critique de L'Étrange Traversée du Saardam par Christlbouquine

1634, à Batavia en Indes Orientales. Plusieurs passagers prennent place à bord du Saardam pour rejoindre Amsterdam. Parmi eux, le gouverneur général ainsi que sa femme, sa fille et sa maîtresse,...

le 15 avr. 2022

4 j'aime

L'Oiseau Moqueur
Christlbouquine
8

Critique de L'Oiseau Moqueur par Christlbouquine

New-York, XXVème siècle. Les hommes ont peu à peu abandonné le pouvoir aux robots. L’individualisme est devenu la norme. Plus de cellule familiale, d’ailleurs il n’y a plus d’enfants qui naissent,...

le 4 déc. 2021

4 j'aime

Isabelle, l’après-midi
Christlbouquine
4

Une lecture décevante

Étudiant américain, Samuel rencontre Isabelle lors d’un séjour à Paris. Un peu plus âgée que lui, elle exerce aussitôt un puissant attrait sur le jeune homme. Ils deviennent amants. Tous les jours à...

le 6 août 2020

4 j'aime