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Le point de vue d'un fan de Husserl.
Comprenons bien ; Le tournant herméneutique de la phénoménologie est excellent, ayant le mérite d'être un des livres contemporains les plus motivants intellectuellement que j'ai lu. Grondin est évidemment une référence quant à l'herméneutique et au courant heideggérien. Néanmoins, du point de vue d'un étudiant en philosophie ayant « la piqure » de la phénoménologie husserlienne, je ne peux que trouver désolante la position théorique de l'auteur.
Exalter la phénoménologie existentialiste de Heidegger, Gadamer et Ricœur ; voilà une chose qui m'est parfaitement acceptable. En tant qu'historicisme conscient de lui-même, cette herméneutique de la métaphysique à travers l'histoire est de loin plus conciliable que celle de Hegel. La présenter comme un « tournant nécessaire et inévitable » de la phénoménologie husserlienne? Je n'embarque pas. Et d'ailleurs, les arguments qu'il présente ne me semblent pas décisifs.
1/La phénoménologie ; « cette exigence herméneutique de probité [...] tout l'exercice de la philosophie en tant que science qui se veut première » p.28. Grondin offre cette représentation de la phénoménologie husserlienne comme étant une recherche herméneutique libre, procédant selon des maximes trop ouvertes. Je répondrais que Husserl offre un programme précis, si bien sûr incroyablement permissif, à plusieurs endroits dans ses différents écrits (§84 des Ideen, par exemple). Ce programme est distinct d'une herméneutique de l'existence, du moins d'un point de vue méthodologique.
2/Le recours à l' « aporie thématique » mise en évidence par Ricœur et Gadamer. Je mets des guillemets, parce qu'honnêtement c'est plutôt bêta ; la permissivité sémantique d'un terme n'est pas la base d'une critique valide d'une démarche philosophique bien précise. Personne ne s'embête longtemps sur le fait que 'science' avait anciennement un sens très large lorsqu'il vient le temps de discuter d'une science moderne bien précise, alors pourquoi est-ce que ce serait le cas quant aux disciplines philosophiques?
3/S'il y a un embarras à l'utilisation du terme « phénoménologique », imaginez celui ressenti lors de l'usage de « philosophique »!
4/En ne présentant pas adéquatement l'héritage brentanien de Husserl, son traitement de l'objectivité selon le regard de la Gestalt-théorie, et plus généralement, en ignorant la tension entre la psychologie descriptive et la philosophie du jeune Husserl, il est évident que la phénoménologie de sa maturité s'en retrouve plus ou moins vide de sens.
5/Grondin mentionne l'irritation que Husserl a ressentie à la réalisation de l'utilisation de la phénoménologie comme d'une herméneutique historiciste, mais ne précise pas exactement pourquoi. Sa frustration contre Heidegger origine très certainement du fait qu'il y a justement la possibilité d'étendre le discours husserlien à l'ensemble des phénomènes de l'histoire, et certainement même de l'histoire conceptuelle. Husserl évoque et initie le mouvement d'une analyse de l'expérience humaine selon une multitude d'objectivités nouvelles tirées d'un questionnement non plus de la causalité, mais de l'intentionnalité des phénomènes. Cela implique un travail herméneutique, mais de la même façon que l'historien profite à se psychanalyser.
6/Le caractère égologique de la phénoménologie husserlienne et de Merleau-Ponty n'est reprochable que si l'on ignore le véritable sens d' « apodictique » comme caractérisant ces philosophies. Pour Husserl, il s'agit d'imbriquer les développements de façon à ce que la primauté des sources intuitives soit respectée, d'où l'emphase sur la perception, sur le questionnement de la valeur de l'ego cogito. Je ne vois aucune raison de croire que la phénoménologie husserlienne ne parviendrais pas, avec un peu de développement, à thématiser le sujet social et historique. On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir développé ce thème, tout comme on ne peut pas honnêtement reprocher à Aristote le fait de ne pas avoir développé une logique floue.
Exalter la phénoménologie existentialiste de Heidegger, Gadamer et Ricœur ; voilà une chose qui m'est parfaitement acceptable. En tant qu'historicisme conscient de lui-même, cette herméneutique de la métaphysique à travers l'histoire est de loin plus conciliable que celle de Hegel. La présenter comme un « tournant nécessaire et inévitable » de la phénoménologie husserlienne? Je n'embarque pas. Et d'ailleurs, les arguments qu'il présente ne me semblent pas décisifs.
1/La phénoménologie ; « cette exigence herméneutique de probité [...] tout l'exercice de la philosophie en tant que science qui se veut première » p.28. Grondin offre cette représentation de la phénoménologie husserlienne comme étant une recherche herméneutique libre, procédant selon des maximes trop ouvertes. Je répondrais que Husserl offre un programme précis, si bien sûr incroyablement permissif, à plusieurs endroits dans ses différents écrits (§84 des Ideen, par exemple). Ce programme est distinct d'une herméneutique de l'existence, du moins d'un point de vue méthodologique.
2/Le recours à l' « aporie thématique » mise en évidence par Ricœur et Gadamer. Je mets des guillemets, parce qu'honnêtement c'est plutôt bêta ; la permissivité sémantique d'un terme n'est pas la base d'une critique valide d'une démarche philosophique bien précise. Personne ne s'embête longtemps sur le fait que 'science' avait anciennement un sens très large lorsqu'il vient le temps de discuter d'une science moderne bien précise, alors pourquoi est-ce que ce serait le cas quant aux disciplines philosophiques?
3/S'il y a un embarras à l'utilisation du terme « phénoménologique », imaginez celui ressenti lors de l'usage de « philosophique »!
4/En ne présentant pas adéquatement l'héritage brentanien de Husserl, son traitement de l'objectivité selon le regard de la Gestalt-théorie, et plus généralement, en ignorant la tension entre la psychologie descriptive et la philosophie du jeune Husserl, il est évident que la phénoménologie de sa maturité s'en retrouve plus ou moins vide de sens.
5/Grondin mentionne l'irritation que Husserl a ressentie à la réalisation de l'utilisation de la phénoménologie comme d'une herméneutique historiciste, mais ne précise pas exactement pourquoi. Sa frustration contre Heidegger origine très certainement du fait qu'il y a justement la possibilité d'étendre le discours husserlien à l'ensemble des phénomènes de l'histoire, et certainement même de l'histoire conceptuelle. Husserl évoque et initie le mouvement d'une analyse de l'expérience humaine selon une multitude d'objectivités nouvelles tirées d'un questionnement non plus de la causalité, mais de l'intentionnalité des phénomènes. Cela implique un travail herméneutique, mais de la même façon que l'historien profite à se psychanalyser.
6/Le caractère égologique de la phénoménologie husserlienne et de Merleau-Ponty n'est reprochable que si l'on ignore le véritable sens d' « apodictique » comme caractérisant ces philosophies. Pour Husserl, il s'agit d'imbriquer les développements de façon à ce que la primauté des sources intuitives soit respectée, d'où l'emphase sur la perception, sur le questionnement de la valeur de l'ego cogito. Je ne vois aucune raison de croire que la phénoménologie husserlienne ne parviendrais pas, avec un peu de développement, à thématiser le sujet social et historique. On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir développé ce thème, tout comme on ne peut pas honnêtement reprocher à Aristote le fait de ne pas avoir développé une logique floue.
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le 27 mars 2012
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