Albert Thomas , futur homme politique, n’a que vingt ans lorsqu’il s’embarque dans le long périple du transsibérien, en 1898. Il reçoit un billet en récompense de son brillant parcours studieux. Il voyage alors de Moscou à Tomsk, une ville à proximité du lac Baïkal. Ce qui le préoccupe, ce ne sont ni les monuments en cloche moscovite, ni les paysages vertigineux sibériens, mais bien la colonisation des terres vierges de la Sibérie, qui connaissaient leur « conquête de l’est ». Mais jusqu’où irait-elle ? Que pouvait penser un jeune homme à peine entré à l’École Normale Supérieure ?
Son voyage lui permet de confronter ses aprioris, il offre au lecteur une vision romantique de cette Russie atemporelle aux steppes monotones, où Occident et Orient se côtoient. Plus Albert Thomas s’enfonce dans l’Est russe, plus la civilisation disparait. Une peur se fait ressentir, celle de la rencontre certaine du « blanc » face au « jaune ». Albert Thomas interroge son lecteur sur « la pauvreté surproductrice du peuple jaune », qui représente un danger futur et inexorable pour l’économie occidentale. Pour sa part, le peuple russe est « orientalisé » ; sa conquête de l’Est se traduit par un retour naturel à ses origines. En effet, Albert Thomas infantilise le Russe : « il a comme les enfants des possibilités de tout », auquel il manque la notion ontologiquement occidentale de la réflexion. Amputé de cette qualité, le Russe est alors naturellement enclin à l’autocratie et au mysticisme.
Ce jugement exprime bien la pensée d’un jeune futur normalien, nourri de classiques et de citations grecques. Son récit ne fait que reprendre les poncifs de son temps, certes, son contenu porte un intérêt historique indéniable, mais reste très médiocre dans sa qualité réflexive et littéraire.