Ici: on calcule, on compte,... à quelques décennies près, on se croirait aisément à une époque ultra contemporaine où la crise fait rage: la nôtre! Pourtant, nous sommes dans les années 50! Presque 60 ans nous éloignent de ce récit, et pourtant, YU Hua nous plonge dans notre réalité quotidienne! Compte-tenu du fait que ce roman a été écrit en 1996, nous sommes en droit de nous poser cette question: s'agit-il ici d'un roman annonçant notre crise actuelle?
Bien sûr que non. Simplement, l'histoire, se répète, encore et encore. Sempiternel recommencement. Sans minimiser la valeur de cette œuvre, gageons que le contexte actuel aura contribué à pénétrer avec une certaine démesure cette œuvre empreinte d'un réalisme et d'un humanisme à toute épreuve.

Donc, nous voici en Chine, dans les années 50. XU Sanguan travaille dans une filature de cocons de soie. Loin d'être idiot, il envisage sérieusement son avenir. Il convoite sérieusement les jolies formes des demoiselles qu'il côtoie. Un jour, il croise deux connaissances qui vont vendre leur sang... une solution simple, efficace et rapide pour multiplier par six le salaire mensuel, en une seule fois! Difficile de résister à l'appât du gain. Grâce à sa première vente de sang, XU Sanguan convole en justes noces avec XU Yulan, une belle jeune fille qu'il n'était pourtant pas le seul à désirer épouser. De cette union naîtront trois fils prénommés Premier Plaisir, Deuxième Plaisir et Troisième Plaisir. Pourquoi compliquer ce qui peut-être si simple? Car ces noms reflètent exactement l'état d'esprit de XU Sanguan à la naissance de ses fils.

Et tout va pour le mieux. Une dizaine d'années passe. La vie passe... jusqu'à ce que XU Sanguan découvre d'étranges similitudes physiques entre Premier Plaisir et celui qui était son rival alors qu'il demandait la main de XU Yulan. Son premier enfant serait-il le fils d'un autre?
La vie plutôt paisible de XU Sanguan s'écroule... les difficultés se succèdent. Et lorsque celles-ci touchent les finances familiales, la solution est toute trouvée: XU Sanguan fera à nouveau commerce de son sang!

En lisant le quatrième de couverture, on aurait pu craindre le récit d'un témoignage, triste à souhait, complaisant... que nenni! Voici un roman qui nous emporte dès les premières lignes! L'humour omniprésent n'est pas étranger à l'attachement qui nous lie aux personnages. Les situations cocasses se multiplient et s'intensifient dans une langue simple et vivante. Les personnages, parfois proches de la caricature, sont sympathiques malgré leurs défauts, et YU Hua évite très intelligemment les clichés manichéens dans lesquels on pourrait aisément s'enfoncer. Si les événements que vivent les personnages sont parfois d'une dureté extrême, l'humour de YU Hua nous permet de ne pas sombrer dans un mélodrame sordide.

Une lecture au premier degré de ce conte moderne en ravira plus d'un. Et pour les autres, YU Hua offre une lecture plus profonde: il nous plonge au coeur de l'histoire de Chine durant plus de trois décennies. La Chine, des années 50 aux années 80, connut un bon nombre d'événements que le peuple n'eut d'autre choix que de subir, tels que le Grand bond en avant et la grande famine qui en découla, jusqu'à la Révolution culturelle. Aujourd'hui encore, les conséquences de ces événements continuent de marquer la Chine, et c'est bien naturellement que les protagonistes de ce roman traversent eux aussi ces bouleversements.

Pourtant, on sent que ces petites gens, décrites avec beaucoup de sensibilité et de finesse malgré les traits d'humour parfois patauds, sont des battants! Honneur, amour, soutien mutuel... les familles et au travers elles, toutes les communautés, veulent à tout prix survivre à cette Histoire de Chine oppressante.

Dans un style énergique, direct, auquel les auteurs Chinois nous ont finalement peu habitués, YU Hua use de la répétition, sans exagération, donnant parfois un côté absurde aux situations, aux enchaînements, leur conférant alors une drôlerie charmante. C'est aussi ce style et sa légèreté, qui nous permettent de vivre au coeur de cette famille déchirée, farouchement décidée à livrer un combat pour leur survie. Et nous luttons avec eux.

En conclusion, impossible de ne pas citer XU Sanguan qui déclare dans ce roman: « Comme on dit, les poils des couilles poussent après les sourcils, mais ils sont plus longs ».

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Chach1712
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le 13 févr. 2011

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Chach1712

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