Léopoldine Hugo se noie, avec son mari Charles Vacquerie, en 1843. Elle a à peine dix-neuf ans. Fille aînée de Victor et d’Adèle Hugo, sa mort laisse une blessure béante au cœur de l’écrivain qui était en voyage avec sa maîtresse, Juliette, au moment du drame et qui a appris le décès par les journaux.
Durant trois ans, Victor Hugo ne publiera plus rien. Lui, le romancier, auteur de théâtre et poète prolifique, n’écrira pas une ligne. Mais de ces trois années vont naître des chefs d’œuvre comme Les Misérables ou ses poèmes saisissants et ô combien célèbres : “Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin” ; “Demain dès l’aube” ou le si touchant “A Villequier”. Sa conscience politique est, elle aussi, affermie et Hugo devient révolutionnaire.
Mais Victor Hugo ne serait pas Victor Hugo sans ses péripéties amoureuses. Alors que sa relation se poursuit avec Juliette Drouet, il rencontre Léonie Biard quelques semaines après la mort de Léopoldine et entretient avec elle une relation amoureuse passionnée. La jeune femme participe sans doute beaucoup à la renaissance du grand homme et à sa remise au travail !
Thierry Consigny explore ici la thématique du deuil et la perte d’un enfant. Lui-même touché par ce drame, il met en parallèle l’immense tristesse et le sentiment d’injustice qui habite le père frappé par la perte et l’incommensurable énergie de l’homme public et de l’écrivain qui l’entraîne à se lancer dans l’œuvre titanesque des Misérables, à écrire des poèmes remarquables sur son drame, à s’engager en politique et à vivre ses passions amoureuses avec gourmandise.
Cela met en lumière, comme souvent à propos de Victor Hugo, toutes les contradictions de cet homme boulimique de travail et de femmes et pourtant irrémédiablement attaché à sa vie de famille. Pour qui est familier du travail et de la vie de l’illustre écrivain, on n’apprendra pas grand-chose de nouveau. Mais c’est l’angle choisi qui est ici inédit. On peut en effet se demander si ce drame n’était pas arrivé, si l’œuvre aurait été la même. Probablement pas. Si les engagements auraient été les mêmes, conduisant Victor Hugo à l’exil à Guernesey. Peut-être que oui.
En filigrane, Thierry Consigny nous fait aussi partager son propre deuil, la mort de Léopoldine devenant une manière moins frontale de dire sa propre douleur face au décès de sa petite Lara. C’est un récit très touchant qui met le doigt sur la relation étroite entre l’intime et l’œuvre et sur cette espérance qu’à travers la mort, ceux qui nous ont quitté restent un peu présents auprès de nous. Ce qui conduira Victor Hugo à avoir recours aux tables tournantes lors de son séjour à Jersey. Mais ceci est une autre histoire...