Attention, ma critique contient des spoilers.
Attention à ne pas vous perdre, en effet. Un personnage féminin porte un nom masculin. Un personnage masculin porte un nom féminin. Un personnage change de nom une fois. Puis encore une fois. Et revient finalement à son premier nom. Un personnage s'appelle Martha. Et puis un autre. Et puis dix autres.
Bref, attention à ne pas vous perdre. Mais honnêtement, et pourtant je n'avais pas aimé La compagnie des menteurs, il serait dommage de ne pas faire l'effort de rentrer dans les âges sombres. On se sent très vite happé par ce Moyen-Âge qui ne me semble ni idéalisé, ni dépeint d'une façon trop horrible. La géographie des lieux et les différentes zones et pouvoirs qui s'exercent est vraiment bien retranscrite : l'Eglise, un "couvent" pas complètement dans la tradition de l'Eglise romaine et un pouvoir aristocratique.
La façon dont tout cela s'entremêle, ce jeu de lutte permanent (le recueil d'un lépreux, un ostie récupéré...) est entrecoupé par une petite particularité locale, les Maitres-Huants, une sorte de secte locale qui exerce aussi un pouvoir.
J'ai suivi avec un vrai intérêt toutes ces histoires. J'ai aimé cette narration qui faisait intervenir tous les personnages en adoptant un point de vue, et honnêtement je trouve que la très grande majorité des personnages est intéressante car aucun n'est complètement sympathique (par contre certains sont complètement antipathiques). J'étais un peu dubitatif sur le traitement des personnages masculins qui sont tous finalement assez négatifs, mais la toute fin du livre le personnage de William est nuancé et on le voit enfin être beaucoup plus sympathique avec sa soeur. Ouf, c'est déjà ça, mais je trouve dommage que leur relation ne soit pas plus belle et puisse donner au coeur du récit une vraie force narrative et deux personnages qui pourraient être comme une lueur d'espoir (les deux jeunes) dans un monde où tout le monde est finalement peu agréable (même si certains sont quand même assez attachants).
J'ai aimé le traitement du fantastique dans le roman. Car le Moyen-Âge est bien sûr fait de légendes, et ici il y en a une avec ce monstre terrible. L'auteure parvient à le faire vivre... tout en ne le faisant pas vivre. En fait il y a des passages qui disent un peu des choses contraires. Par exemple, le monstre est décrit à certaines passages et certains personnages le voient. Mais pourtant, le chef de la secte des Maîtres Huants indique que le monstre ne vivra que parce qu'on cherchera à le combattre car cela le rendra réel, et que justement le fait que des femmes du béguinage en parle lui donnent vie. Comme si ce monstre n'existait que par les mots des autres. Donc le livre nous plonge vraiment dans cet entre-deux, probablement comme les villageois qui se posent la question : ben finalement, existe t-il ou non ? Tout semble laisser croire que oui... et pourtant parfois on a des indices que non.
Il en ressort un livre maîtrisé, intéressant et intrigant, au récit riche et aux personnages bien travaillés.