Les Arts et le Commerce
Fiche technique
Auteur :
Gustave FlaubertDate de publication (France) : 1839Langue d'origine : FrançaisParution France : janvier 1839Résumé : La futilité des arts et l’utilité du commerce sont devenus mots banals dans le monde. Bien des gens n’estiment, en effet, une étoffe qu’à la longueur, une chose qu’à son poids et une couleur qu’à son éclat, et font plus de cas en eux-mêmes d’une balle de coton que de toutes les tragédies possibles ; ils diraient bien comme Malebranche en voyant Athalie : « Qu’est-ce que cela prouve ? » Ceux-là ne voient, en effet, dans l’art qu’un passe-temps après dîner, une récréation qui égaie, un jeu qui délasse, et considèrent les spectacles comme la meilleure invention de la police pour pincer les masses en lieu sûr ; ces gens-là, sans doute, regardent la marchandise, la denrée, le bois, le cuivre comme les premières choses d’ici-bas, et quant à la pensée pure, libre, indépendante, quant au génie créateur et grandiose, quant à la poésie, à la morale, aux beaux-arts, chimères ! fantaisies ! futilité ! diront-ils. Honneur, selon eux, à la machine qui crie, au rouleau qui tourne, à la vapeur qui remue ! honneur à l’indigo, au savon, au sucre, au navire qui transporte tout cela, à celui qui l’exploite et calcule, s’enrichit, à celui qui achète et qui vend ! Mais Homère, mais Virgile, mais Shakespeare, qu’est-ce que cela prouve ? Corneille, Racine, qu’est-ce que cela prouve ? Se nourrit-on avec des vers, s’habille-t-on avec des peintures, mange-t-on des statues ? Raphaël et Michel-Ange, qu’est-ce que cela prouve ? Citez-moi des noms qui ont servi au genre humain, ceux de Pitt et de Jacquart, mais vos poètes, vos artistes, rêveurs vaniteux qui meurent de faim et demandent des statues ! Ah ! insensés ! est-ce que l’âme aussi n’a pas ses besoins et ses appétits ? et si vous ne sentez pas en vous-mêmes cet instinct, qui demande à se nourrir non pas de vos denrées, à se réchauffer non pas de vos forêts, à se vêtir non pas de vos étoffes soyeuses, mais à faire quelque chose de grand et à satisfaire cette âme qui a une soif immense de l’infini et à qui il faut des rêveries, des vers, des mélodies, des extases, qui a besoin de se réchauffer au feu du génie, et de s’entourer de mysticisme, de poésie, eh bien, si vous ne sentez pas cela en vous, de quel droit venez-vous me parler d'intelligence et de pensée ? il n’y a rien de commun entre vous et moi. Pour un esprit qui bâtit et détruit, qui marchande et qui trompe, je vous l’accorde, mais pour une âme, je vous la refuse ; vous n’en avez point