Obscurs objets du désirs.
Petit livre écrit à l'intersection de quatre auteurs - sans qu'il soit intéressant de savoir lesquels ou même d'entrer en la minière de sa genèse - "Les choses" tracent le portrait cruel de l'échouage d'une génération. Il y a quelque chose de jubilatoire dans la férocité avec laquelle Pérec lamine ses personnages jusqu'à leur faire épouser la grisaille indécise de la bourgeoisie. Le Barthes des "Mythologies" n'est pas loin, non plus que le Flaubert de l'Éducation Sentimentale - cet extraordinaire roman de la poussière.
On rit beaucoup, de ces ratages successifs qui ne sont pas perçus comme tels, de ces échecs qui auraient pu ne pas en être, de la médiocrité en acte, jamais là où elle devrait être pour que s'accomplisse ce qu'elle pense désirer.
Les personnages sont tout juste deux noms sans pratiquement d'épaisseur psychologique, deux noms réduits aux scripts sociaux du désir et de ses signes extérieurs, à l'image exacte des sondés qu'ils interrogent sur leurs préférences télévisuelles ou leur consommation de café. Il s'enfoncent toujours un peu plus dans le massif des choses sans en comprendre le sens, s'imaginant toujours ailleurs l'objet du désir - non la chose, mais l'usage de la chose, son appropriation - au point d'en perdre le désir et le sens de leur désir. Jusqu'à ce que tout s'éteigne dans la normalité plate des objets sans relief, possédés sans originalité, dans l'uniformité lasse et indifférente d'un statistique Monsieur tout le monde.
Au style de Pérec, on prend un plaisir fou, à ses énumérations savoureuses et signifiantes, à l'ironie constante de sa plume, la précision de ses anatomies psychosociales et, il faut se l'avouer, à une forme résolue de méchanceté qui n'a rien de gratuit. Au final, nonobstant, la conclusion est indécise comme un banc de sable. L'échouage dans les choses est-il un échec ? Un échec de quoi ? Et par rapport à quel but ? J'aime qu'il y ait parti-pris, presque sadiquement, tout au long du livre, sans conclusion nette, qui serait celle d'un moraliste ; mais simplement fermeture d'une parenthèse narrative, celle de la genèse, peut-être, d'une installation dans le gris apaisant du confort. Flaubertien, assurément.