"Les Conditions de la Renaissance" de Malek Bennabi est une œuvre visionnaire qui invite à une profonde réflexion sur les causes de la décadence des sociétés musulmanes et propose des solutions pour leur redressement. Publié en 1948, ce livre est le fruit d'une analyse minutieuse de Bennabi sur les maux qui affligent les sociétés musulmanes et offre des perspectives précieuses pour la renaissance et le renouveau de ces sociétés.
Selon Bennabi, la décadence des sociétés musulmanes ne peut être attribuée uniquement à des facteurs externes tels que les invasions étrangères ou les pressions politiques. D'ailleurs, quand certains parlaient de colonisation, Malek Bennabi parlait de colonisabilité. Selon Bennabi, la colonisabilité est déterminée par plusieurs facteurs, tels que le niveau de conscience collective, la vitalité intellectuelle, la stabilité sociale et économique, ainsi que la force et la résilience culturelle. Il soutient que les sociétés qui sont faibles sur ces aspects sont plus susceptibles d'être colonisées par des puissances étrangères. Il considère que la colonisabilité n'est pas simplement le résultat d'une supériorité militaire ou technologique des colonisateurs, mais qu'elle est également liée à l'état d'esprit et à la condition interne de la société colonisée. La colonisation est un phénomène qui se produit lorsque les sociétés colonisées sont incapables de se défendre et de préserver leur identité culturelle et leurs valeurs. En bref, si l'on a été colonisé, c'est que l'on était colonisable, et que les causes ne se trouvent pas uniquement dans les volontés hégémoniques d'autrui mais dans nos manquements. Le concept de colonisabilité n'est pas développé dans cet ouvrage mais il était important d'en parler.
Malek Bennabi met l'accent sur l'idée centrale que la transformation d'une société dépend d'abord et avant tout de la transformation de l'individu lui-même. Il s'inspire du verset du coran: "En vérité, Dieu ne modifie point l'état d'un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce que est en eux-mêmes.". Ainsi, la renaissance des sociétés musulmanes ne peut être réalisée sans une réforme intérieure profonde des pensées, des valeurs et des comportements individuels.
L'auteur développe une pensée sur les étapes de la civilisation. Pour lui, le monde des choses doit reposer sur le monde des idées. Car si les idées disparaissent, le monde des choses s'écroule. Pour Bennabi, la première phase de la civilisation est la phase de l'âme, celle où l'homme regarde vers le haut, où l'homme s'imprègne de valeurs spirituelles. Ces valeurs spirituelles font naître une société avec un véritable idéal. C'est à ce moment là que la société crée une civilisation qui aura un impact historique. D'ailleurs toutes les grandes civilisations sont nées grâce au souffle de la religion.
La deuxième phase de la civilisation est la phase de la raison, le moment où l'homme regarde devant lui, il regarde les choses et les rationalise. Il est en phase de développement.
La phase finale, celle qui annonce la fin de la civilisation est la phase de l'instinct. Ici, l'homme ne regarde plus vers le haut, il ne regarde plus devant lui. Il regarde uniquement vers le bas. Il ne voit uniquement la chose, il n'est plus animé par les idées et la spiritualité, il s'écarte de la civilisation, pour ne s'intéresser qu'à sa personne, qu'à ses propres droits et non plus à ses devoirs. Or l'homme est matériel et spirituel, sa destinée se trouve dans l'équilibre des deux. "Lorsqu'il est abandonné à sa solitude, l'homme se sent assailli d'un sentiment de vide cosmique. C'est sa manière de combler ce vide qui déterminera le type de sa culture et de sa civilisation, c'est à dire tous les caractères internes et externes de sa vocation historique". Malek Bennabi estime qu'il y a deux manières de le faire : soit regarder ses pieds, vers la terre, soit lever les yeux vers le ciel. L'un peuplera sa solitude de choses matérielles, avec un regard dominateur voulant posséder. L'autre peuplera sa solitude d'idées, avec un regard interrogateur en quête de la vérité. C'est comme cela que naissent, dit Bennabi, deux types de culture : une culture d'empire aux racines techniques, et une culture de civilisation aux racines éthiques et métaphysiques.
La dernière phase de décadence est donc la phase de l'instinct. Or l'idée religieuse est là pour maîtriser l'instinct. L'auteur explique :
"L'individu, dans pareil cas, n'est dans dans le fond qu'un Homo Natura, néanmoins l'idée religieuse soumet ses instincts à un "conditionnement" que la psychologie freudienne appelle le "refoulement". Ce conditionnement n'est pas de nature à abolir les instincts, mais il assure leur organisation au sein d'une relation fonctionnelle avec les dispositions de l'idée religieuse : la biologie animale représentée d'une façon concrète par les instincts ne disparaît pas, mais devient disciplinée grâce à un ordre donné. Dans ce cas, l'individu se libère, partiellement, de la loi naturelle, instinctive. Dans son ensemble, son existence sera soumise aux dispositions spirituelles que l'idée religieuse imprime dans son âme au point qu'il évolue, dans cette nouvelle condition, selon la loi de l'âme."
Malek Bennabi accorde une importance primordiale à l'éducation comme moteur de la renaissance. Selon lui, la réforme de l'éducation est une étape fondamentale pour rétablir la vitalité intellectuelle des sociétés musulmanes. Il critique les systèmes éducatifs qui privilégient la mémorisation et la reproduction plutôt que la pensée critique et l'analyse. Il souligne la nécessité d'adopter des méthodes d'enseignement innovantes, favorisant l'épanouissement intellectuel, la créativité et l'autonomie de la pensée.
L'auteur apporte des réflexions sur la manière d'être utile dans sa religion, sa foi et donc dans sa société. Il met l'accent sur l'efficacité en montrant qu'à son époque, la religion existait chez l'individus mais que celle-ci était purement individualiste. Il y avait une relation entre l'homme et son Seigneur mais la religion doit avoir un impact sur la société et doit créer un lien et une harmonie sociale. Or cela n'existait plus et l'efficacité avait disparu. Quand la religion n'est plus efficace, le projet civilisationnel disparaît. La religion ne doit pas se limiter à une vision individualiste comme le monde moderne l'enseigne mais elle doit reprendre sa place dans l'histoire et la société en créant un réseau relationnel animé par les idées.
Malek Bennabi envisage plusieurs manières pour l'homme d'être efficace :
- l'efficacité de sa pensée
- l'efficacité de son travail
- l'efficacité de son argent
Mais il faut que ces efficacités s'adaptent à une synthèse dont l'origine coïncide avec une idée religieuse. Par conséquent, il faut intégrer au problème de l'homme celui de trois orientations :
- orientation de la culture
- orientation du travail
- orientation du capital
Ce serait trop long de développer ces points, mais en gros le moteur doit toujours résider dans les idées et non dans l'instinct.
"Les Conditions de la Renaissance" de Malek Bennabi est un ouvrage qui incite à une réflexion profonde sur la renaissance des sociétés musulmanes. Bennabi met en avant l'importance de la réforme intérieure, de l'éducation et de la réappropriation culturelle pour parvenir à une transformation sociale significative. Sa vision appelle à une introspection critique, à une remise en question des valeurs et des comportements, ainsi qu'à un retour aux principes islamiques fondamentaux. En embrassant ces idées et en s'engageant dans une réforme profonde, les sociétés musulmanes peuvent envisager une renaissance authentique, nourrie par leur propre héritage culturel, et contribuer ainsi au progrès global de l'humanité.