Éblouie, ébahie par cette dystopie poétique.
Lucie Taïeb sait incontestablement manier les mots pour nous tenir en haleine dans les méandres de son histoire. La composition est morcelée, alternée entre les différents personnages à peine nommés et enrobés de mystère.
Dans une société futuriste à la George Orwell, les hommes sont aliénés par le travail. Quand ils s'effondrent, ils disparaissent. Mais Stern, l'étoile, s'oppose à cette société et leur apprend "l'insubordination". Une menace se prépare. Il ne faut pas en avoir peur, selon Stern. Elle est la menace, selon le gouvernement.
Un employé de la surveillance hésite : rejoindre les effondrés ou participer à ce modèle répressif ?
En parallèle, à la campagne, le jeune Oskar se meurt. A-t-il rencontré Corinne ? Est-elle morte ? Avait-il une soeur ? Ce n'est pas très clair, c'est métaphorique, c'est poétique.
Quand la menace arrive – l'asphalte avale les hommes – c'est la chasse à la sorcière dans la brume.
En ville, deux femmes, "la vieille" et "la jeune" fuient, s'échappent.
À la campagne, la mère fuit avec Oskar, abandonnant le père. Un père dont on ne connaît pas vraiment le rôle.
On suppose que l'une est Stern. Notre imaginaire laisse à penser qu'elle est aussi la Corinne d'Oskar, accompagnée de la petite soeur disparue.
C'est aussi un récit féministe, qui met en mots l'émancipation de personnages féminins.
D'abord les plus pauvres, obligés de sortir pour se ravitailler, sont les premiers à en pâtir. Puis la société se réorganise, cultive ses légumes et met en place le troc. Devient autonome et autosuffisante. Efface le modèle établi.
Pendant le trajet, Oskar est devenu androgyne. Arrivé en ville, il rejoint la vieille femme/Corinne. La jeune femme retrouve la mère. Toute deux se dirigent vers le sud et débouchent sur une plage, sur laquelle se trouvent alors tous les corps avalés par l'asphalte. Morts ? Vivants ? Mystère.
"*Ce n'était pas là l'oeuvre des hommes mais celle du réel lui même se révoltant contre toutes les monstruosités, toutes les lâchetés*"