Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay par Nébal
On a pas mal parlé de Michael Chabon ces derniers temps, notamment parce que son roman Le Club des policiers yiddish a remporté le prix Hugo. Sans surprise, ledit volume a intégré mon étagère de chevet, catégorie « lectures urgentes » ; mais j'ai pourtant préféré aborder cet auteur par un autre roman (un autre pavé...), qui me faisait de l'œil depuis quelque temps et qui, si je ne m'abuse, m'avait été chaudement recommandé par des milieux hautement autorisés. Va donc pour ces Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay, beau volume qui a par ailleurs remporté le prix Pulitzer 2001 (tout de même).
La couverture de l'édition 10/18 annonce la couleur. Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay se veut un hommage aux comics super-héroïques, et plus particulièrement à ceux de l'Âge d'Or qui a suivi le premier épisode de Superman dans les pages d'Action Comics en 1938. Une période des comics que j'avoue connaître assez mal (euphémisme) : tout juste si j'ai pu glaner quelques éléments ici ou là, dans les pages de Comix Box, ou dans des bandes-dessinées ultérieures jouant également le jeu de l'hommage (ici, je pense notamment à Suprême d'Alan Moore, dont le premier tome s'intitule justement L'Âge d'Or – au passage, j'ai appris récemment que le deuxième tome allait enfin sortir en France, youpi ! –, ou au très beau Marvels illustré par un Alex Ross au sommet de sa forme). Mais peu importe, Michael Chabon se montrant un excellent guide. La méconnaissance de cette époque ne gâche donc rien au plaisir de la lecture, autant le dire tout de suite.
Tout commence par une rencontre, celle de deux cousins, Sammy Clay et Joseph Kavalier. Tous deux sont jeunes, à peine sortis de l'adolescence, et juifs. Joseph vient de s'échapper de sa Tchécoslovaquie natale tombant sous le joug des nazis (dans des circonstances épiques qu'on ne rapportera pas ici). Clay est un passionné de comics et déborde d'idées, mais manie assez mal le crayon ; l'immigré Kavalier, par contre, a fait les Beaux-Arts, et se montre un illustrateur très compétent. C'est ainsi que va se former le duo Kavalier & Clay, qui évoque tour à tour bon nombre de fameux duos de l'histoire des comics (pas uniquement de l'Âge d'Or, d'ailleurs : leur cadence de travail m'a beaucoup fait penser, peut-être à tort – ? –, à l'association Stan Lee / Jack Kirby du début des années 1960 – notons au passage que ces deux auteurs, mais ils ne sont pas les seuls, loin de là, apparaissent dans le roman – ; Joseph Kavalier, surtout, au-delà de ses initiales, fait de toute façon énormément penser au King, à qui le roman est plus spécialement dédié).
Ensemble, les deux jeunes gens vont créer toute une écurie de ces merveilleuses tapettes en collants, le premier et le plus important d'entre eux étant l'Artiste de l'Évasion, largement inspiré par la figure de Houdini (Kavalier ayant d'ailleurs lui aussi pratiqué l'illusion et l'escapologie). Un valeureux combattant de la liberté, décalque plus ou moins avoué de Superman, mais qui entend bien régler son compte aux nazis oppresseurs des Juifs, à l'instar des premiers héros de Timely Comics (futur Marvel) : la Torche Humaine, Sub-Mariner, puis Captain America. Avant même Pearl Harbor, ce qui n'est pas sans causer quelques problèmes « diplomatiques »...
Dès lors, nous suivons la carrière et plus généralement la vie des deux cousins. Leur travail commun – parfois, un épisode de l'Artiste ou de Papillon Lune vient se glisser dans la narration... –, les vicissitudes qui l'accompagnent (ils se font bien entendu escroquer, quand bien même ils engrangent des bénéfices records ; puis, après la guerre, ils seront confrontés à l'ordre moral incarné par le sinistre Dr Wertham et les bûchers de comics...), leur vie amoureuse, leurs amitiés, leurs soucis...
Michael Chabon se montre un conteur d'exception, et c'est sans souci aucun qu'il nous emmène tout au long de ce pavé. Il sait dessiner des personnages justes et toujours humains, riches de sentiments contrastés. Sa documentation énorme ne vient jamais parasiter le récit, restant dans le registre de l'érudition enthousiasmante. Sa plume est par ailleurs délicieuse, quand bien même on pourrait lui reprocher un goût immodéré pour les phrases interminables (mais là, je suis mal placé pour lui jeter la pierre...).
Le résultat, c'est un excellent roman, un vrai chef-d'œuvre au sens fort, pétri d'humanité, de douceur et de mélancolie. Un roman humain et astucieux, magnifique histoire d'amitié, tour à tour drôle et tragique, faisant se rejoindre avec une maestria sans faille la petite histoire et la grande. Un hommage touchant, enfin, à l'épopée des comics de l'Âge d'Or, riche en figures de légende.
Un seul défaut, peut-être : au bout d'un certain temps, cela devient un peu longuet... notamment, à mon sens, dans les passages où l'on s'éloigne le plus de l'illusionisme et des comic books (ceux-ci emportant immédiatement l'adhésion) ; ainsi, par exemple, la cinquième partie du roman, malgré son cadre pour le moins original... Mais je pinaille : même dans ces passages – que l'on ne saurait accuser de gratuité pour autant, tout étant à sa juste place –, l'art de Michael Chabon est tel que l'on se laisse toujours volontiers emporter. Et finalement, de la première à la dernière ligne, on ne peut que confesser s'être régalé à la lecture des Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay.
Une belle réussite, donc, qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Me reste à lire Le Club des policiers yiddish, dont j'attends le plus grand bien. Je vous tiens au jus...
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