Ravie par la lecture de Malevil (une perle à ne pas rater), je plonge avec intérêt dans les pages de cette autre fiction d'anticipation écrite par Robert Merle.


Suite à une épidémie d'encéphalite qui réduit dramatiquement la population mondiale masculine, le docteur Ralph Martinelli est chargé par la Présidente des États-Unis Sarah Bedford – une extrémiste féministe fraîchement arrivée au pouvoir – de mener des recherches en laboratoire afin de trouver un vaccin. Notre protagoniste est un « homme protégé », placé en quarantaine avec d'autres scientifiques masculins au sein du camp de Blueville. Il ne tarde pas à comprendre que sa situation est celle d'une incarcération : interdiction de sortie, couvre-feu, censure, mise sur écoute et surveillance constante... Et surtout, que le résultat de ses travaux est étroitement suivi par des acteurs antagonistes, qui vont chercher à l'exploiter à leur propre avantage.


C'est un renversement de point de vue que propose Robert Merle, qui donne à voir de façon cohérente et détaillée ce à quoi pourrait ressembler un totalitarisme matriarcal. La société s'y organise en castes, hissant au sommet de la pyramide le sexe féminin. Les hommes quant à eux (et tout particulièrement, ceux en capacité de procréer) sont rabaissés, méprisés et discriminés. Une idéologie anti-mâle, qui voit dans l'épidémie un juste retour de bâton pour punir une "phallocratie" masculine séculaire, se développe et prend des proportions de plus en plus radicales. Dans un tel contexte, l'auteur s'emploie à examiner les phénomènes sociologiques qui découlent d'une inversion des rôles. Et c'est précisément là qu'il excelle : dans la justesse des description des relations humaines, dans l'argumentation au sein des dialogues (bien menés et incisifs), dans le déploiement des idéaux et enjeux qui motivent les uns et les autres. Au-delà des mots, on notera l'attention portée aux non-dit, aux intentions, au langage corporel.


Une chose que l'on pourrait regretter, c'est le peu d'action vécue par le protagoniste lui-même, et la présence de longs passages factuels qui ressemblent à des extraits de manuels d'histoire. Le récit prend son temps, ce qui est d'ailleurs appréciable pour pouvoir s'imprégner de l'univers, identifier ses acteurs, comprendre la mise en place d'une nouvelle organisation sociale avec ses tenants et aboutissants. Mais on est parfois un peu frustrés que Martinelli soit principalement un spectateur passif maintenu dans l'expectative et l'ignorance, un « héros malgré lui » manipulé par son entourage féminin...


Même si les femmes sont présentées comme très intelligentes et perspicaces, Robert Merle ne les met pas à l'abri non plus de la critique, en soulignant les travers découlant de leurs qualités (calculatrices, manipulatrices, opportunistes, espionnes...), ni de la caricature en dépeignant les dérives d'ultra-féministes « brainwashées », offusquées par la plus petite manifestation de virilité ou tentative de séduction, constamment sur la défensive et promptes aux procès d'intention.


Pour cette raison, je ne pense pas ce livre doive être considéré comme un manifeste pro-féministe, contrairement à d'autres critiques que j'ai pu lire. Même la société matriarcale modérée qui se met finalement en place n'est pas exempte de problèmes ou d'inégalités. Cette prétendue "guerre des sexes" sert de toile de fond à une critique de la dictature en général, quelle que soit sa forme ou l'idéologie dans laquelle elle puise ses fondements. Et c'est là le talent de Robert Merle que de nous mettre en garde contre les moyens insidieux dont l'autoritarisme use pour s'établir : la création d'antagonismes et la désignation de boucs émissaires, dans des contextes de crise, de peur ou d'incertitudes.

Zild
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le 20 août 2017

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Zild

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