Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes n’est pas un polar. Il est le roman d’un journaliste, d’un journaliste engagé plus précisément.
Stieg Larsson ne peut pas s’en empêcher : il informe. Au fil du récit, il ne résiste pas à transmettre des statistiques, à faire de la pédagogie ou à expliquer clairement comment agir en cas d’agression sexuelle. Il a ça dans le sang, il doit informer, même si cela n’apporte rien au récit.
En France, je pourrai rapprocher sa démarche à un Didier Daeninckx, même si je trouve l’écriture de ce dernier souvent décevante, à l’inverse de son contenu historique.
En beaucoup de points, Mikael Blomkvist est Stieg Larsson. Avant d’être connu post-mortem pour ses talents d’écrivain, il était un journaliste antifasciste acharné. Il a cofondé le magazine Expo, à la ligne éditoriale antifasciste. Millenium n’en est que le reflet.
Quand Larsson raconte les menaces sur Millenium ou encore les agressions de Mikael, il n’invente rien. Il retranscrit son expérience. Son magazine a été la cible des mouvements et groupuscules d’extrême droite suédois. Des librairies ont été vandalisées et l’imprimerie saccagée. Stieg et sa compagne Eva ont été menacés à plusieurs reprises. Ils recevaient même des balles par la poste. Un de ses amis a été torturé et tué par quatre néonazis. Un collaborateur d’Expo a échappé de peu à un attentat à la voiture piégée.
Le roman reflète les préoccupations de Larsson, En 2004, il collabore ainsi à l’écriture de l’essai « Debatten om hedersmord : feminism eller rasism », pouvant se traduire littéralement par « Le Débat sur le crime d'honneur : Féminisme ou Racisme ». Cela ne vous rappelle rien ?
Cette posture n’enlève en rien la qualité littéraire de l’ouvrage. Larsson a aussi été critique de littérature policière et de bandes dessinées. Une passion qui se retrouve tout au long du roman, où il ne peut s’empêcher de citer plusieurs lectures. Il reste toutefois marrant de voir qu’une longue première partie du livre consiste à poser le contexte avant d’entamer réellement l’action. Mais il ne faut pas oublier que pour le romancier journaliste : informer, c’est agir.
Curieusement, je trouve son personnage de Mikael Blomkvist assez peu intéressant. Sa véritable création et originalité consistent en Lisbeth Salander. D’ailleurs, cette dernière est en quelque sorte une forme d’incarnation extrême et impossible du journaliste : engagée personnellement, subjective, prête à récupérer n’importe quelle information à n’importe quel prix, détachée des lois éthiques et morales. A la fois le fantasme et l’épouvantail du journaliste engagé.