Vous avez dit : « Premier roman » ? Etonnant, difficile à croire et pourtant si plaisant à découvrir ! Une histoire bien écrite, construite et racontée avec subtilité et maîtrise absolue du questionnement que doit susciter un roman chez le lecteur.
Les Editions de l’Olivier ont ce talent de découvrir de bien jolies plumes et, par ailleurs, de les mettre en valeur dans des ‘objets-livres’ que le lecteur saisit avec bonheur !
‘Les maisons vides’, un thème déjà maintes fois traité, la construction d’une adolescente, mais l’autrice, ici, façonne son récit avec tant de justesse, de profondeur, d’amour pour le possible en devenir que personne ne boudera la sortie de ce premier roman de Laurine Thizy. Bien loin de Anna dans ‘Une bête aux aguets’, de Florence Seyos chez le même éditeur, Gabrielle dans ‘Les maisons vides’ est une jeune fille qui n’a pas peur de ce qui va arriver. Ce n’est pas là l’objet de sa lutte. Elle, elle sait déjà. Ce qui la contrarie, ce serait plutôt les araignées. Mais pourquoi donc ?
"Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champs. Elle court, je crois sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s’élance minuscule dans un labyrinthe de maïs, poussée par le soudain besoin de voir, d’être sûre. Gabrielle sait qu’il est trop tard – ses paumes meurtries le lui rappellent -, pourtant elle court de toute la vigueur de ses treize ans."
Ainsi commence le prologue de cette tragique histoire que Gabrielle racontera elle-même le jour où la vierge s’est tue. Depuis, elle court vers la construction d’elle-même. Qu’aura-t-elle comme fondations ? Quelles seront ses certitudes, ses doutes ? Pourra-t-elle s’échapper de ses souvenirs ? Se construire malgré eux ? Quels seront ses rapports à la famille, son entourage ? Pourra-t-elle un jour exister pour et par elle-même et enfin cracher le morceau?
Toutes ces questions la tarauderont un jour. Mais pour l’instant, elle court, le soir, dans les champs, le cimetière, les profondeurs de sa vie d’enfant de treize ans. Et toujours, au fond de la gorge, plutôt de la poitrine, plus précisément des poumons, elle sent monter en elle une envie amère d’extirper ces araignées qui se terrent en boules au plus profond d’elle-même. Pourtant, elle les refuse, les nie, les emballe de fausses bonnes raisons. Mais toujours, ses mains, le plus souvent cachées, lui rappellent le présent. C’est par elles qu’elle sait !
Avec une force extraordinaire, Laurine Thizy nous conte le combat d’une enfant pour advenir adulte. La puissance de Gabrielle vient aussi de ces femmes qui vivent pour elle, qui la portent au-delà d’elle-même. Une mise à l’honneur de ces femmes de l’ombre qui luttent pour éduquer, conduire les enfants ailleurs, au-delà d’eux-mêmes. Ces mêmes femmes qui souvent s’épuisent et quasi toujours se taisent.
Sous la plume de Laurine Thizy, les mots éclosent, juste là où ils doivent être, enrubannés du cortège des phrases qui trament un récit dense, serré sans être jamais fermé aux questions qu’immanquablement le lecteur se pose à propos des choix éducatifs, des contraintes et permissions qu’il accorderait à l’enfance s’il était plongé dans la même situation que ceux qui accompagnent Gabrielle.
La densité du récit n’a d’égal que sa facilité et le plaisir de s’y insérer complètement. Le lecteur, tout du long, s’en trouve ravi, même s’il est touché par la révélation qui sort des mains de Gabrielle, une fois qu’elle les ouvre enfin face au nez rouge qui a fini par la faire rire. Aujourd’hui, elle peut voler et voltiger vers demain !
Comme moi-même, une fois la dernière page tournée, le livre posé et les idées clarifiées, bien des lecteurs reprendront le livre pour relire le prologue… Tout y était dit, ou presque !