Il est des écrivains dont la gloire a éclipsé l'oeuvre. Racine est devenu pour certains un grand nom perdu au milieu du siècle louis-quatorzien. D'autres conservent de lui une image surannée qui ne les incite guère à le redécouvrir. Or pour peu qu'on veuille bien se pencher sur elles, les pièces de Racine en dépit du temps n'ont pas pris une ride. Le lecteur contemporain évidemment peut de prime abord être gêné par quelques tournures précieuses, des conventions et des références passées de mode, mais insensiblement le charme agit, et la pureté de la langue racinienne emporte ses dernières résistances. Le premier sujet d'étonnement tient à la pauvreté du lexique utilisé par l'auteur d'Andromaque. Ce dernier en effet n'a pas besoin de beaucoup de mots pour nous toucher et nous surprendre. Son mince vocabulaire s'appuie sur une connaissance tellement aiguisée des ressources langagières qu'il paraît en situation de presque tout exprimer dans un style qui n'appartient qu'à lui. Et ce style à son tour n'en constitue pas moins un motif de surprise. Plein de finesse, d'élégance et de musicalité, celui-ci coule, sobre et fluide car ô miracle ! jamais rien ne vient en troubler la beauté. Sans "graisse", sans aspérités, sans lourdeur, l'alexandrin que Racine plie à ses exigences a été et demeure un modèle de clarté. Contrairement d'ailleurs à Corneille, son cadet n'est en rien embarrassé par les vieilles règles édictées par Aristote : les fameuses unités de lieu, de temps et d'action. Il semble même se jouer des contraintes comme s'il puisait en elles de nouvelles forces pour donner libre cours à son génie. Certains grands auteurs de temps à autre se souviendront de lui : "De ses yeux amortis, les paresseuses larmes" (Baudelaire) "Qu'es-tu, près de ma nuit d'éternelle longueur ?" (Valéry) Lisons et relisons Andromaque, Britannicus, Bérénice, Iphigénie, Phèdre, Athalie... Allons au théâtre goûter ces merveilles poétiques où un sens inné de l'art dramatique côtoie le goût le plus sûr.